Pour lui, le processus était entouré d'opacité et le peuple tenu à l'écart de cette révision qui vise à perpétuer le régime et accroître le pouvoir personnel du président Bouteflika. "La date du 7 février 2016 sera retenue dans l'histoire contemporaine de notre pays comme celle d'un véritable coup de force constitutionnel. Par ce coup de force, le pouvoir personnel a pu imposer sa volonté à celle des Algériennes et des Algériens ; il a pu régler ses propres problèmes en laissant en jachère ceux de la nation ; il a fait passer ses enjeux particuliers avant ceux du pays tout entier. Mais il y a des victoires à la Pyrrhus comme il y a des triomphes à la vie courte et des victoires sans lendemain." Ancien chef de gouvernement, aujourd'hui à la tête de Talaie El-Hourriyet (Avant-garde des libertés), Ali Benflis, néanmoins juriste de formation, a rendu public hier, comme il l'avait promis, un livre blanc sur ce qu'il qualifie de "coup de force constitutionnel". Elaboré grâce au concours de spécialistes, ce livre, comme celui rédigé sur la fraude électorale de 2014, démontre de façon didactique, avec force arguments, "l'inopportunité" et "l'inutilité" de la révision que les tenants du régime, leur laudateurs et thuriféraires présentent comme un acquis historique pour le pays. Outre "l'opacité" qui a entouré le processus de révision et ses "objectifs inavoués", le livre blanc relève le "discrédit" qui caractérise les différentes institutions, "l'exclusion du peuple", le "renforcement du pouvoir personnel" à travers de nombreuses dispositions, les limites de l'exercice parlementaire, un "contrôle de l'exécutif de façade", un pouvoir judiciaire soumis à l'Exécutif, un Conseil constitutionnel "toujours dépendant", l'unité nationale "fragilisée", constitutionnalisation "univoque" de la réconciliation nationale, la "sous-citoyenneté" des Algériens établis à l'étranger à travers l'article 51, l'officialisation "a minima" de tamazight, le renforcement "factice" du rôle de l'opposition, des libertés "étroitement contrôlées", "déséquilibres" des pouvoirs, une moralisation de la vie publique en "trompe-l'œil", un dispositif de contrôle des élections "tronqué" et une profusion de conseils consultatifs. À cela s'ajoutent des suppressions, comme, par exemple, l'alinéa 11 de l'article 122 avec la suppression du "plan national" des domaines de législation du Parlement et la suppression de la loi organique, à l'article 123. "Au moment où la tendance est à plus de transparence dans le domaine de la sécurité nationale, qui est l'affaire de tous, appréhendée dans sa globalité, celle-ci est extraite de la liste des matières qui relèvent du domaine législatif et passe de ce fait au domaine réglementaire réservé au président de la République", lit-on dans ce livre blanc. "La révision constitutionnelle du 7 février ne s'inscrit nullement dans une perspective de rupture ni de changement mais dans la continuité d'un régime qui repose sur un pouvoir personnel", commente Ali Benflis. "Le pouvoir politique en place croit avoir trouvé à travers la révision de la Constitution un palliatif à la revendication d'une grande partie de l'opposition d'une transition démocratique qui réglerait, une fois pour toutes, le problème de la vacance du pouvoir et assurerait le retour à la légitimité populaire", dit-il. Dans une déclaration liminaire, hier, au siège de son parti à Alger, l'ancien candidat à l'élection présidentielle, pour qui "la Constitution n'a été ni consensuelle ni rassembleuse", est revenu sur les raisons ayant motivé l'élaboration du livre blanc : démontrer que les "doutes et les craintes" autour de cette révision étaient "justifiées", que le "peuple est exclu", qu'elle est destinée à "différer le règlement de la crise de régime", que le système, avant ou après la révision, est "personnalisé à l'extrême", qu'il est "bâti sur le culte de l'homme providentiel", qu'il est "autocratique et autoritaire" et qu'enfin le problème n'est pas dans la révision de la Constitution, mais dans le système. Qualifiant l'ordre constitutionnel nouveau "d'atypique" et "d'hyper-présidentialiste", Ali Benflis soutient que cette révision procède de "la fuite en avant", de "la diversion" et qu'elle détourne les regards des véritables défis qui se posent au pays. Qui sont-ils ? "La vacance du pouvoir, l'illégitimité des institutions de la base au sommet", "l'accaparement du centre de la décision nationale par des force extraconstitutionnelles", "la dislocation du centre de décision sous l'effet des divergences et des contradictions entre ces forces", "des institutions et de l'administration publique en quasi-cessation d'activité du fait de la vacance du pouvoir alors même que le pays fait face à une impasse politique globale, à une situation économique d'une exceptionnelle gravité et à des perspectives sociales particulièrement menaçantes". "Mais ces défis ne trouveront pas même un début de réponse dans la révision constitutionnelle. C'est pour cette raison que la révision, outre son caractère dilatoire et diviseur, est foncièrement inopportune et inutile", conclut Benflis. Karim Kebir