Ali Ali-Khodja, doyen des artistes peintres algériens contemporains, a été inhumé hier au cimetière Sidi Abderrahmane. Il a été accompagné à sa dernière demeure par une foule nombreuse. Un hommage lui a été rendu au Palais de la culture. Cet artiste dans l'âme a consacré une grande partie de sa vie à l'art qui tend à nous montrer son contenu sensible et émotionnel afin de nous présenter les impressions profondes qui émanent des désirs les plus forts, à marquer le temps du sceau d'une identité particulière. Dans ses œuvres, il a refusé de se livrer à la monotonie de la répétition stérilisante qui nous maintient figés dans les limites du quotidien primaire. « Dépourvu de son sens humaniste, l'art se confine à présenter de modestes images de faits ordinaires ou, de pâles copies d'un passé révolu et méconnu dans sa forme initiale », a-t-il écrit dans un blog qu'il alimentait régulièrement. A ses yeux, l'art est un imprévu miracle de la création, « faisant naître des horizons jamais égalés ». Selon lui, l'attachement au passé révèle le refus du présent, en raison de sa prétendue dépendance à un univers jugé extérieur à la tradition séculaire. Il se peut, aussi, que ce refus provienne de l'incapacité d'embrasser le temps présent, riche de ses complexités et de ses interrogations. Dans son atelier d'El Biar, il était dans son univers : il est seul avec ses matériaux qui restent ses uniques partenaires avec lesquels il peut donner vie à une toile, la rendant éternelle. Une émotion, une idée, une perception, c'est ce qu'il recherchait, voire le saisissement d'une étincelle de grâce. Ali se voulait un artiste modeste. A une question sur sa notoriété, il répond : « Il est vrai que je suis connu par un milieu restreint. Je n'ai pas cette prétention, ni ce caractère de me montrer, d'expliquer mon œuvre. » Neveu des Racim, il en a subi l'influence, du moins a été marqué par leur trajectoire, puisque ce sont eux qui l'ont accompagné dans son parcours artistique. « Omar était dans la pure tradition avec l'enluminure et la calligraphie, alors que Mohamed, miniaturiste, était plus ouvert au monde extérieur. Tous deux ont vécu à Montparnasse et côtoyé les grands maîtres de l'époque. Leur apport à l'art algérien est considérable. Les Racim restent des modèles dans leur domaine », a-t-il déclaré à El Watan en Avril 2005. Ali-Khodja avait le sens du regard et de l'observation qu'il a tenté de transmettre à ses étudiants des Beaux-Arts d'Alger. Le sens de l'observation n'est pas quelque chose d'inné mais se cultive avant tout avec l'expérience, confie-t-il. Malheureusement, dans l'agitation de la vie moderne, la jeune génération de peintres ne voit pas le ciel, les arbres et la nature : elle se contente de reproduire le visible. Or, pour Ali Khodja, l'art rend visible quelque chose de nature spirituelle ou bien il rend extraordinaires les objets ordinaires de notre monde, rendant ainsi à leur pleine visibilité les objets que la quotidienneté et l'habitude ne nous font même plus voir. L'œuvre vue et touchée par nos sens n'est rien d'autre qu'un reflet d'une idée absolue. Ali-Khodja était proche de la démarche du peintre et écrivain français Eugène Fromentin qui a souligné que « l'art de peindre n'est que l'art d'exprimer l'invisible par le visible ». Il est attiré par la peinture dès 1963, par l'aquarelle depuis 1970, et par la gravure en 1978. En 1982, Ali Ali-Khodja abandonne les thèmes animaliers et les paysages pour renouer par le sens de la couleur avec la miniature. Il n'a pas besoin d'arguments pour justifier son œuvre et se sent totalement libre de regarder le monde sans tenir à un lieu, à un endroit ou à un courant. « Mes chevaux ne sont ni les piliers de la gloire. Ni la servitude envers les puissants. Ni les suppôts du pouvoir conquérant. Ils sont innocence, errance dans la solitude des espaces sans fin », a t-il écrit dans l'un de ses catalogues de présentation d'une exposition. Ali-Khodja a tiré sa révérence. Il nous a laissé des couleurs vives et des formes harmonieuses qui expriment l'essentiel de la vie...