Pierre Péan était mardi dernier à la librairie Chihab International à Alger. Le parcours sulfureux de ce journaliste au long cours a fait de sa rencontre-débat un événement que le nombre de personnes présentes au second niveau de la librairie ne dément pas. Connu pour être l'auteur, en collaboration avec Phillipe Cohen, de La Face cachée du monde, expédition grinçante dans les couloirs d'un influent journal du soir français, il est l'archétype du fouineur indépendant. Dans Main basse sur Alger, enquête sur un pillage, édité chez Chihab Edition, il lève le couvercle sur la mise à sac des trésors de la Régence d'Alger. Une entreprise systématique jamais reconnue qu'il chiffre à quelque quatre milliards d'euros. C'était il y a 175 ans seulement. L'une des pages les plus sombres de l'actualité historiographique de l'Algérie s'est jouée, selon Péan, lorsque Charles X, fragilisé par une opposition de plus de plus menaçante, eut l'idée de constituer un fonds secret pour revenir à une monarchie absolue. Le fonds était au Sud. Manque de chance, il n'eut pas le temps de réceptionner le lot qu'il était déchu. Sur place, à Alger, entre gradés, on se regarde un temps en chiens de faïence, puis on décide de se servir. Le hold-up est lancé. Un réseau prébendier est constitué. Péan est obnubilé par un personnage, celui du maréchal de Bourmont. D'un traître à la nation, dans Waterloo, il devient ministre de la Guerre de Charles X, chef du corps expéditionnaire chargé de faire tomber Alger, avant d'être déchu de sa nationalité. Il disparaît de l'histoire aussi vite qu'il y est venu, mais y revient par une autre porte. La lithographie mythologique représentant le dernier coup d'éventail que le dernier dey d'Alger a pu servir, et diffusé comme par consensus des deux côtés de la Méditérannée, passe pour une maigre couverture des faits. A ce moment, la Régence attendait avec impatience le retour de créances contractées par la France pour alimenter sa campagne d'Egypte et les armées d'Italie. Péan en sort avec une nota bene d'aspect anodin : « La France n'a toujours pas payé ce qu'elle devait à la Régence. » On a passé l'éponge depuis. La tête dans les documents d'archives, Péan trouve les traces d'autres personnages tout aussi intéressants. Flandin, entre chevalier blanc et maître chanteur, nommé par le général Clausel rapporteur de la commission des finances pour faire l'enquête sur le montant exact du Trésor d'Alger. Son rapport explosif est maintes fois étouffé. Le khaznadji, grand trésorier du dey, ministre des Finances, signe après la prise d'Alger un document où il atteste que, officiellement, la France a pris possession de 50 millions de francs d'époque, montant des caisses de la Régence. Le chiffre réel est à multiplier, selon des sources recoupées, par dix, voire plus. A quoi a servi cet argent ? Si la marine royale française s'est chargée de l'acheminement des troupes et des armes pour la prise d'Alger, une société privée, la maison Seillière, représentée à Alger par Adolphe Shneider, affrète 357 bâtiments pour le transport de l'approvisionnement. La mise à sac lui confère une nouvelle mission celle d'acheminer l'or. « A combien se sont élevés leurs bénéfices dans cette affaire ? », se demande Péan dans la conclusion de son ouvrage. Et il répond : « Apparemment suffisamment pour prendre un nouvel essor et devenir les plus grands sidérurgistes de l'industrie française. » Aujourd'hui, un des descendants de cette dynastie est le patron des patrons français, président du MEDEF. Belle réussite ! L'Algérie devrait se porter actionnaire. Main basse sur Alger Enquête sur un pillage, juillet 1830 Pierre Péan Chihab Edition (Alger) Prix de vente public : non mentionné