Du temps de la décennie noire, Sonelgaz était presque exsangue. Le pays vivait presque un embargo et les investissements avaient connu un arrêt quasi total. Le gouvernement décide, en 1997, d'assainir la situation financière de cette entreprise publique en transformant, entre autres, ses dettes en capitaux. Une nouvelle équipe dirigeante, menée par Aïssa Abdelkrim Benghanem, ancien PDG de Sonelgaz, est intronisée à la tête de la direction. Première initiative, premiers écueils : les responsables s'apprêtent à lancer un appel d'offres pour la réalisation d'une centrale électrique de 300 mégawatts selon une formule avantageuse. La décision bute sur l'intransigeance des ministères de l'Energie et des Mines et des Finances. Motif invoqué : seules les infrastructures hospitalières et routières pouvaient bénéficier de ce type de financement. « On nous demandait de prendre des risques avec les banques commerciales. Ceci alors que nous pouvions recourir aux banques intermédiaires, savoir la BAD, le FMI et la Fades. Ces organismes qui prêtaient sur une garantie de l'Etat, offraient des taux d'intérêt moins élevés et sur le long terme. Tandis que les taux d'intérêt des banques commerciales étaient plus élevés », nous confie un ancien responsable de Sonelgaz. A cette date, l'entreprise avait épuisé ses réserves. « On ne pouvait pas attendre au risque de mettre la société en péril », ajoute la même source. Après les alertes adressées par l'ancien PDG de Sonelgaz au ministère de l'Energie et des Mines, ce dernier décide enfin de lancer… « des expertises sur les prévisions de l'entreprise ». Sur le fil du rasoir, Sonelgaz, ne disposant pas de puissance additive sur son réseau, était obligé d'alimenter le nord du pays à partir de la région de Hassi Messaoud. Concours de circonstances aidant, la centrale d'El Hamma venait d'être mise en essai, en 2003. Sauf que le mémorable black-out du 21 février 2003, intervenu dans cette centrale, a mis à nu les insuffisances de la production et la vétusté des réseaux de transport. « Une ouverture en défaveur de l'Algérie » Chakib Khelil, ministre de l'Energie et des Mines, décide, à travers la loi de février 2002, l'ouverture du secteur de l'électricité à l'investissement privé. Ainsi promulguée, cette loi ouvre le champ à la concurrence dans les domaines de l'électricité et de la distribution du gaz par canalisations. Cette décision intervient dans une conjoncture où l'Etat éprouve des difficultés à réhabiliter ce qui lui reste comme instruments économiques publics. M. Benghanem, PDG de Sonelgaz, exprime ses réticences sur ce projet de loi. Aussitôt, certains responsables au ministère de tutelle lui reprochent d'être contre les réformes annoncées, tandis que lui revendique le concours de l'Etat pour sauver Sonelgaz. Des divergences de vue qui lui ont coûté son poste de PDG, en janvier 2004. Imputée à Chakib Khelil, cette éviction inattendue ne fut jamais motivée. Et il fut remplacé au pied levé par Noureddine Bouterfa, ancien responsable d'AEC, une filiale créée entre Sonelgaz et Sonatrach. En théorie, c'était au conseil d'administration qu'échoit la responsabilité de relever le PDG avec l'aval des deux tiers des voix de ses membres. Or, il semblerait que cette règle n'a pas été respectée. Chakib Khelil ne concevait aucune critique. Pourquoi ? « L'investisseur étranger vient ici pour gagner de l'argent, ce qui est normal. Par contre, il peut transférer tranquillement ses dividendes et faire la concurrence à Sonelgaz en offrant des salaires aguichants à ses cadres », déplore notre source, en qualifiant de « mauvais choix » l'option d'ouverture, d'autant plus qu'elle n'a pas été accompagnée « de préalables de contrôle des activités des investisseurs étrangers ». « N'importe quel économiste vous dira que cette ouverture est en défaveur de l'Algérie. Il suffit seulement de dresser la balance entre les devises qui rentrent et celles qui sortent. Il y avait bel et bien un transfert de capitaux vers l'étranger. Cette loi est en défaveur de l'Algérie » assure notre vis-à-vis. Pour l'instant, aucun bilan n'a été dressé sur les avantages et méfaits de cette ouverture. Difficultés à la pelle L'entreprise publique traîne aujourd'hui plusieurs boulets. Ses créances détenues sur les clients du groupe ont atteint la barre inquiétante des 40,494 milliards de dinars en 2008, soit une hausse de 7% par rapport à l'année 2007. Les clients domestiques occupent le point culminant avec un taux de 25%, viendront en seconde position les clients PME/PMI (21%) et ensuite les clients industriels avec une proportion de 15%. « Cela pèse beaucoup sur l'équilibre financier. C'est l'érosion du pouvoir d'achat qui pousse les consommateurs à recourir à des procédés peu recommandables. En 1997, Ahmed Ouyahia, alors chef de gouvernement, avait obligé certains mauvais clients à payer leurs factures. Beaucoup d'entre eux se sont exécuté au risque qu'on leur coupe l'alimentation en électricité », déclare ce haut responsable. En outre, l'endettement s'est accru de 50% au cours de l'année 2008 pour atteindre un volume de 400 milliards de dinars, soit environ 4 milliards d'euros. Face à cette situation des plus difficiles, Noureddine Bouterfa, l'actuel premier responsable de Sonelgaz, n'a eu de cesse d'interpeller le gouvernement sur l'urgence d'augmenter les tarifs de l'électricité. Ce dernier considère que le gel des tarifs de l'électricité et du gaz est pour beaucoup dans le déséquilibre financier de son groupe. Notre interlocuteur juge « dangereux » de figer indéfiniment les prix de l'électricité. « Il aurait été plus judicieux d'augmenter les prix graduellement de manière à ne pas heurter les consommateurs », conseille-t-il. Le gouvernement, quant à lui, par la voix de Khelil, ne l'entend pas de cette oreille, en évoquant plutôt « la possibilité d'un apport de capital pour équilibrer les comptes de Sonelgaz ». En plaidant pour un apport de l'Etat, le ministre de l'Energie et des Mines ne semble pas trop inquiet quant à la question des équilibres financiers qui pèsent énormément sur ce holding. Pour cet ancien responsable, l'urgence aujourd'hui « est de redresser la situation financière de l'entreprise ainsi que de dresser un inventaire exhaustif de la loi de 2002 ».