Ahmed Chenna préside la Commission nationale pour la criminalisation de la colonisation française réclamant la repentance de la France pour ses crimes coloniaux. Pour lui, la reconnaissance de ces crimes est une étape primordiale pour que les relations entre les deux pays puissent aller de l'avant. L'APN envisage d'adopter une loi criminalisant le colonialisme français (1830-1962). Même si la proposition de loi a été renvoyée par le bureau de l'assemblée pour des problèmes de formulation, elle peut y revenir et être adoptée. Vous êtes, avec le député Moussa Abdi, à l'origine de ce texte. Quelles en sont les motivations ? D'abord, je veux apaiser les tensions... Le peuple algérien et le peuple français sont des peuples amis, rattachés par des relations politiques, économiques, sociales et culturelles. Mais je le dis, pour développer ces relations, il faut que l'Etat français reconnaisse ses crimes en Algérie pendant 132 ans de colonisation. Je rappelle aux Français les génocides commis par la France comme celui du 8 mai 1945 où 60 000 victimes algériennes étaient à déplorer. L'Algérie a perdu un million et demi de martyrs pendant sa guerre de Libération nationale, et je n'oublie pas les victimes algériennes des essais nucléaires français au Sahara, alors que l'on fête tristement le 50e anniversaire de ces essais. Depuis l'Indépendance, tous ces crimes commis par la France sont un obstacle pour de meilleures relations entre les deux pays. Mais que réclamez-vous exactement à la France ? Au sein de l'académie de la société civile algérienne, nous nous adressons à la société civile française qui doit nous aider à faire reconnaître par la France ses crimes en Algérie. La proposition de loi a été déposée par un collectif de 125 députés de presque tous les partis représentés à l'APN (FLN, RND, FNA). Il n'y a pas un parti politique seul qui peut revendiquer cette loi. C'est une traduction d'une véritable revendication populaire. Nous envisageons de créer des tribunaux spéciaux pour juger les responsables de crimes coloniaux ou les poursuivre devant les tribunaux internationaux. Nous réclamons aussi des indemnisations financières pour toutes les victimes algériennes de la colonisation. La proposition de loi suscite la polémique en France. Le député français Thierry Mariani pense qu'avec cette proposition de loi, ce sont les « rapatriés qui ont vécu aux côtés du peuple algérien jusqu'en 1962 que l'on insulte, mais aussi, avec l'ensemble de l'armée française, les harkis que l'on méprise et que l'on injurie une nouvelle fois ». Vous répondez quoi ? Est-ce que la loi qui a été approuvée par le Parlement français le 23 février 2005 et qui vante « les bienfaits de la colonisation » n'est pas une insulte ? C'est pire... Je remercie les associations, les partis politiques en France, qui ont réagi négativement à cette loi française ignoble, qui insulte le peuple algérien. La proposition de loi déposée par nos députés souverains n'est pas une insulte envers le peuple français. Au contraire, à travers elle, nous « donnons la main » à notre partenaire français pour préserver nos relations et les mettre sur les rails d'une collaboration solide, indispensable pour les générations à venir. Je tiens à préciser que notre proposition de loi n'est pas une réponse à la loi française de 2005. Cette dernière est une honte et n'a rien à voir avec notre proposition de loi qui réclame seulement la justice. Donc il faut qu'il y ait repentance de la France pour pouvoir avancer avec Paris ? Nicolas Sarokzy a pourtant exclu toute idée de repentance, expliquant qu'il s'agirait là d'une haine de soi, d'un renoncement... La repentance de la France pour ses crimes commis pendant 132 ans est une revendication primordiale. Elle honorerait l'Etat français. Ce serait considéré ici comme un acte de bonne foi et d'intelligence de la part de notre partenaire. Je le dis à monsieur Sarkozy : on ne peut pas ignorer l'histoire, on ne peut pas en faire table rase, je le répète, les relations entre nos deux pays ne peuvent aller de l'avant que par la reconnaissance de notre partenaire des crimes qu'il a commis. Les générations qui arrivent en France comme en Algérie ont besoin de cette repentance pour construire un avenir meilleur. Certains députés algériens craignent que cette loi complique toutefois les relations avec la France. Pensez-vous que cette proposition de loi a des chances d'être adoptée par l'APN ? En ce qui nous concerne, nous n'avons aucun problème avec la France et inchallah cette loi sera adoptée très prochainement. Je m'adresse à la société civile française : faites comprendre que cette proposition de loi n'est ni une insulte ni une revanche, c'est juste un message civilisationnel. L'Italie a reconnu ses crimes en Libye. Pourquoi la France n'en ferait pas autant ? Ce serait un pas décisif qui l'honorerait et un message optimiste pour les générations futures. |Bio express : Le docteur Ahmed Chenna est né le 23 février 1967 à Batna. Il poursuit ses études à l'université de Batna et de Annaba et décroche le titre de docteur d'Etat en sciences humaines. En 1990, et pendant quatre ans, il écrit en tant que journaliste dans le quotidien El Nasr, avant d'occuper le poste de chef de daïra dans les wilayas de Batna et de Annaba. En 2004, il passe conseiller chargé de la communauté nationale à l'étranger auprès du chef du gouvernement. Détaché de la Fonction publique, il devient président de l'Académie de la société civile algérienne (ASCA) qui fait le lien entre les citoyens et les institutions de l'Etat. Depuis deux semaines, Ahmed Chenna préside la commission nationale pour la criminalisation de la colonisation française qui regroupe des associations ainsi que des parlementaires comme Moussa Abdi du FLN, réclamant la repentance de la France pour ses crimes coloniaux.|