Jamais les stylos, puis l'ordinateur, ne furent éloignés de ses pinceaux, et il écrivait autant qu'il peignait Sciences, arts et bonheur « Dès que l'on parle de science et de technique, l'homme commun voit dans ces matières un ensemble de pratiques et théories transmises par des initiés à leurs disciples. Vue sous cet angle, la connaissance se retrouve réduite à la simple mémorisation. Basée sur cette seule faculté, la science se maintient à la limite du savoir-faire et de l'application. L'homme, au regard des résultats scientifiques, découvre un attrait particulier dans ses applications utilitaires. L'objectivité logique repose donc sur des principes et conséquences débouchant sur un assemblage de relations. Il suffit de connaître l'ordre des choses. Limité à la pratique de la connaissance explicite, cet homme s'entoure d'affirmations dans l'application de ses fonctions mises en évidence par les règles préétablies et qui donnent au savoir des dispositions à satisfaire les besoins immédiats, au désavantage de tout mouvement et de toute projection. (…) Nous découvrons ici une similitude d'action entre l'art et la science qui se définissent comme facteurs de progrès et d'avancement, alors que leurs cheminements diffèrent. La science suit une démarche prévisionnelle réfléchie, tandis que l'art passe par une ligne de conduite visionnaire et intuitive. Il demeure, cependant, une entité commune qui les unit dans une aventure de l'esprit parfois déductif et introspectif. L'homme trouve dans la complémentarité des éléments globaux du visible démontré et de l'invisible imaginé une stimulation qui témoigne que notre monde est toujours vivant de nos assurances et que demain, le soleil brillera dans le firmament de nos espérances, au rendez-vous du bonheur. » Représentations et pouvoir « Ainsi, l'art retrouve toute sa valeur, surtout quand il se définit au niveau de ses multiples aspects par le refus de se maintenir à l'anecdotique image du monde physique. Par contre, l'art tend à nous montrer son contenu sensible et émotionnel, afin de nous présenter les impressions profondes qui émanent des désirs les plus forts, à marquer le temps du sceau d'une identité particulière. De cette attention portée à l'art, nous nous trouvons projetés dans un étonnement qui nous attache à l'idée que notre univers est changeant, chaque fois que nous prenons en considération que l'œuvre d'art n'est pas uniquement la simple représentation du monde visible et connu. Elle se fixe surtout à montrer l'intense sensibilité du génie humain de vouloir attester de l'infinité des choses qui nous entourent. Sans cette disponibilité d'esprit, nous nous trouvons livrés à la monotonie de la répétition stérilisante qui nous maintient dans les limites du quotidien primaire. De ce fait, l'art en général ne peut être abordé sans s'opposer aux directives conventionnelles et aux orientations doctrinales qui maintiennent l'artiste dans une situation de dépendance et de reclus, appliquant simplement les orientations d'un pouvoir paralysé par sa crainte du renouveau. » L'arabesque « Dans son élan, l'arabesque se lance vers les méandres des profondeurs de l'âme. Et, chaque fois, elle se déploie et s'épanouit dans un espace de rêve où le rythme incessant du geste vient la projeter d'un souffle léger dans les entrelacs d'une géométrie cosmique. Elle s'adonne dans son envol au jeu du hasard en se pliant à la rigueur de la conscience. Puis elle se perpétue dans une constante vision de l'imaginaire extravagant, laissant l'homme obsédé par l'imprévu avenir. Elle relève, ainsi, de l'important attachement à la forme sinueuse. Née d'un mouvement giratoire, dans sa permanence répétitive, elle défie le temps. L'artiste arabe, en quête d'absolu, retrouve dans cette mouvance l'énergie régénératrice d'une destinée immuable. Sublimée par l'idée de pérenniser d'un geste auguste l'authenticité d'un héritage, l'arabesque devient l'élément essentiel d'un répertoire ornemental, d'une architecture de l'esprit, non dominée par l'individualité, mais tenue par les préoccupations de l'unité d'un mouvement dans son ensemble structural De sa répartition envahissante, elle présente simplement une présence effective d'un passé inaccompli, loin de tout reflet d'un état d'âme ou d'une impulsion sensorielle. Dans cette litanie, l'artiste de l'Orient témoigne d'une introspection en pensant atteindre et retrouver la vérité éternelle. Qu'importe l'étincelle de nos espérances. Replié dans son manteau, il défie le temps sous le joug de sa conviction enracinée dans les profondeurs de l'oubli. » Art et imaginaire « La part de l'art se situe au niveau de l'imaginaire, laissant entrevoir le monde du sensible non contrôlable, ni mesurable, qui nous dérange, nous agite et ne nous dévoile pas la réalité présente, mais la réalité profonde et intense. Sans cette projection dans l'âme des choses et dans les temps futurs et passés, nous nous trouvons rivés à la monotonie de la répétition qui nous maintient en dehors du renouveau. L'artiste, comme tout chercheur ou découvreur, est utile à nous montrer, non pas la matérialité des choses justifiées par l'indispensable, mais tend à nous mener vers les étendues de l'incommensurable, de l'inconnu, mystère qui nous fait envisager, à travers les larges baies de nos espérances, les perspectives de nos aspirations. » Ali Ali-Khodja |Bibliographie : Ali Ali-Khodja est né le 13 janvier 1923 à Alger. Il a étudié la miniature, l'enluminure et la calligraphie arabe dans les ateliers de ses oncles maternels, Mohamed et Omar Racim à l'Ecole des beaux-arts d'Alger (ancien siège, voir photo ci-contre). Il deviendra professeur de cette même école de 1961 à 1994. Sa première exposition individuelle a eu lieu à la librairie Ferrari (actuelle librairie OPU, rue Didouche Mourad, face au cinéma Algeria). Peu enclin à diffuser son travail, on ne lui compte que huit expositions individuelles et une vingtaine de participations à des expositions collectives en Algérie essentiellement, ainsi qu'en Chine, au Danemark, en Espagne, en France, au Maroc, en Tunisie et en Turquie. Certaines de ses œuvres, remontant à sa période d'arts appliqués, figurent dans les collections du Musée national des Arts et traditions populaires (Basse-Casbah), notamment le Coffre algérois qui lui valut en 1960 la médaille d'or du Meilleur artisan de France. On retrouve quelques-unes de ses peintures au Musée national des Beaux-Arts d'Alger et dans de nombreuses collections privées en Algérie et à l'étranger. Ali-Khodja a été particulièrement affecté par l'assassinat en 1975 de son oncle Mohamed Racim, père de la miniature algérienne, et de l'épouse de celui-ci. En dehors de ses productions personnelles, il été parmi ceux qui ont créé à l'indépendance les premiers timbres de la Poste algérienne, très connus des philatélistes. Il était également un affichiste de talent de 1963 à 1974, et a notamment travaillé pour le ministère du Tourisme. Il a obtenu en 1970 le Grand prix national de la peinture, et a reçu en 1987 la médaille du Mérite national. Il est décédé le dimanche 7 février 2010. Il repose désormais au cimetière du Mausolée de Sidi Abderrahmane Ethaâlibi, patron spirituel d'Alger.|