Des témoignages poignants ont marqué, jeudi dernier, les débats sur la prise en charge des enfants privés de famille, organisés au Centre international de presse (CIP) à Alger par l'Association enfance et famille d'accueil bénévole (AEFAB). Des parents éplorés ont exprimé leur douleur face à une « injustice » qu'ils subissent depuis 1994, à la suite de la circulaire du ministère de l'Intérieur interdisant l'inscription du nom de l'enfant adopté dans le cadre de la kafala sur le livret de famille tel que prévu, pourtant, dans le décret exécutif du 13 janvier 1992. A l'ordre du jour, trois communications axées essentiellement sur les droits des enfants privés de famille. La première a été présentée par Mme Nadia Aït Zaï et s'est articulée autour des textes de loi et des vides juridiques qui font que le recueil légal reste un acte précaire. La juriste a relevé qu'en matière de kafala, il y a des améliorations à faire. D'abord faire en sorte que la kafala soit obtenue par le couple afin qu'elle puisse être mise au nom de la mère, en cas de divorce ou de décès du père. « La kafala a ses avantages et ses inconvénients. La protection juridique de l'enfant kafil n'est pas assurée. Il faudra que ce dernier ne soit pas utilisé comme un objet que l'on donne à une famille puis, après divorce ou décès, on le remet aux services sociaux. L'inscription du nom du kafil sur le livret de famille va régler beaucoup de problèmes », a-t-elle conclu. Le professeur et président du conseil scientifique de la faculté de droit d'Alger, M. Benmelha, a axé son intervention sur la place de l'enfant dans le système juridique algérien. Selon lui, « il y a confusion entre les règles de la tutelle et de la kafala, ce qui a compliqué davantage la situation juridique. Le code de l'état civil stipule que l'enfant a droit à un nom ». Le professeur a relevé une discrimination dans les droits entre les enfants biologiques et ceux adoptés dans le cadre de la kafala. « L'enfant biologique par exemple a des droits sur ses parents, ce qui n'est pas le cas pour l'enfant kafil », a-t-il dit. Menaces La représentante de l'Unicef, Mme Doria Merabtine, a quant à elle présenté la convention internationale de la protection de l'enfant, adoptée par l'Algérie, qui est basée sur quatre principes : la survie de l'enfant, sa protection, son développement et sa participation à la vie. Les débats ont été surtout focalisés sur les problèmes auxquels sont confrontés les familles d'accueil. M. Ali Bahmane, président de l'AEFAB, a relevé que le vide qui existe en matière de déchéance de la kafala laisse les familles vivre dans la menace d'être privées de leur enfant kafil. « Il ne faut plus que le cas de Nesrine, cette petite fille de 6 ans, qui a été prise à sa famille par un homme qui s'est présenté comme son grand-père sans aucune preuve scientifique, soit réédité... » Une autre mère a raconté en larmes la douleur qu'elle ressent à chaque fois qu'elle ouvre son livret de famille. « Mon mari et moi avions pris un enfant dans le cadre de la kafala. Quelques années plus tard, nous avons eu un enfant. Le drame, c'est que celui-ci est inscrit sur la deuxième page. Ils ont considéré qu'il s'agit du deuxième enfant. La première page est blanche. Tous deux sont mes enfants. Il n'y a aucune différence. Je les ai désirés tous les deux. Pourtant, l'un est reconnu et l'autre pas. Pourquoi nous infliger cette souffrance à moi mais aussi à mes deux enfants ? » Ce problème a été vécu par toutes les familles à cause de la circulaire interministérielle. M. Tidafi, ancien président et membre actif de l'AEFAB, a expliqué qu'une fetwa (décret religieux) a été rendue par le Haut Conseil islamique, après sollicitation de l'association, faisant état de l'accord pour l'inscription des noms des enfants adoptés dans le cadre de la kafala sur le livret de famille, en ajoutant la mention marginale : enfant makfoul. Mme Belkhenchir, présidente de la Fondation Belkhenchir, a demandé à l'assistance de se mobiliser pour ouvrir le débat sur cette loi que le Président a annoncée sur la protection de l'enfance. Toutes les interventions se sont axées, notamment, sur la circulaire considérée par M. Tidafi comme une violation vécue par des milliers de familles d'accueil. Le constitutionnaliste Mehrez Aït Belkacem a proposé la saisine des institutions de l'Etat, en l'occurrence le ministère de l'Intérieur et le Conseil d'Etat en dernier recours.