Le Premier ministre a soulevé plusieurs points qui empoisonnent les relations entre Alger et Paris : l'affaire Mohamed Ziane Hasseni, le dossier vide des moines de Tibhirine, la question du Sahara occidental et les essais nucléaires français en Algérie. Ahmed Ouyahia a évoqué aussi le volet du partenariat économique entre les deux pays, demandant sa révision sur des bases plus équilibrées. La visite éclair, dimanche, à Alger, de l'envoyé spécial du président Nicolas Sarkozy, Claude Guéant, secrétaire général de l'Elysée, s'est terminée sur une note d'espoir que les relations entre les deux pays iront mieux dans les mois à venir. Dépêché par l'Elysée pour renouer le fil du dialogue rompu depuis des mois avec Alger et par là même diagnostiquer la situation des relations bilatérales, M. Guéant devrait remettre sans tarder son rapport détaillé sur l'entretien qu'il a eu avec le Premier ministre, Ahmed Ouyahia, au président Sarkozy. C'est sur la base de ce rapport que ce dernier décidera de la marche à suivre pour assurer un retour à la normale dans les relations entre l'Algérie et la France. L'entretien de plus de trois heures entre Guéant et Ouyahia, comme affirme une source diplomatique, qui a requis l'anonymat, a été à la fois « chaleureux, courtois et sincère ». « Le Premier ministre, Ahmed Ouyahia, était franc, évoquant tous les dossiers qui sont à l'origine de ces turbulences dans les relations entre les deux pays. Il a parlé sans tabou, abordant même les sujets qui fâchent », souligne notre source. Le Premier ministre a beaucoup insisté sur la question de la mémoire et le partenariat économique, deux dossiers sur lesquels les deux parties doivent se mettre au travail rapidement pour lever les malentendus et aplanir les difficultés. M. Ouyahia n'a pas caché, par ailleurs, la déception d'Alger quant au manque d'investissements français dans le secteur économique productif, critiquant à cet effet l'attitude des hommes d'affaires français qui n'accompagnent pas le développement du pays. Il a ainsi fait savoir à l'envoyé spécial du président Sarkozy le mécontentement d'Alger et surtout sa volonté à revoir les bases du partenariat économique entre les deux Etats pour le rendre plus équilibré. L'Algérie demande des explications Aussi, M. Ouyahia est revenu sur la guerre des mémoires que se sont livrés les deux pays et la nécessité que la France assume son passé colonial. Il y a 5 ans, le 23 février 2005, la France, faut-il le rappeler, avait adopté une loi glorifiant la colonisation, la considérant comme un « fait positif ». L'Algérie l'avait énergiquement dénoncée, poussant le chef de l'Etat de l'époque, Jacques Chirac, à lui apporter quelques modifications. Depuis quelques semaines, une proposition de loi faite par une centaine de députés algériens, criminalisant le colonialisme français, a réveillé les vieux démons. Une bonne partie de la droite française a exprimé sa colère, la condamnant avant même qu'elle ne soit adoptée. Ces tensions cycliques sur le fait colonial interpellent les deux pays qui sont appelés à se pencher sérieusement sur cette question de la mémoire. Les déclarations du ministre français des Affaires étrangères, selon lesquelles les relations algéro-françaises pourraient être meilleures si la génération algérienne de l'Indépendance quitte le pouvoir, ont été également relevées par le Premier ministre. Des propos jugés excessifs et à la limite de l'ingérence. M. Ouyahia a ainsi demandé des explications. Dans le même sillage, et parmi les séquelles du colonialisme, Ouyahia est revenu, précise notre source, sur le dossier des essais nucléaires français dans le Sud algérien et la nécessité que l'Etat français prenne en charge les victimes algériennes et mette les moyens pour la décontamination de la zone affectée. La question des archives a été soulevée au cours de cet entretien de même que la révision des accords de 1968 portant sur l'immigration. M. Ouyahia n'a pas omis d'aborder l'Union pour la Méditerranée (UMP), qui se trouve actuellement bloquée. Le Premier ministre a également évoqué un autre dossier qui fâche, à savoir celui du Sahara occidental, sur lequel les visions des deux pays demeurent diamétralement opposées. La France soutient le Maroc et l'Algérie défend le principe du droit à l'autodétermination du peuple sahraoui. La réouverture du dossier de l'assassinat des moines de Tibhirine figure également parmi les sujets qui irritent Alger, qui dit ne pas comprendre les déclarations du président Sarkozy sur cette affaire, selon lesquelles il y aurait mensonge d'Etat. Autre dossier sur lequel Ouyahia a exprimé le mécontentement d'Alger est relatif à la lenteur constatée dans le traitement de l'affaire du diplomate Mohamed Ziane Hasseni, arrêté à Marseille le 14 août 2008, parce que « soupçonné » d'avoir commandité l'assassinat en France de l'opposant algérien et citoyen français Ali Mecili en 1987. L'inscription de l'Algérie sur la liste noire des pays à haut risque terroriste a été aussi soulevée par Ahmed Ouyahia. De son côté, Claude Guéant, qui a pris note, a transmis « la franche volonté » du président Sarkozy à renouer le dialogue pour aplanir toutes les difficultés et trouver des solutions aux problèmes évoqués. L'envoyé spécial de l'Elysée a rappelé le caractère « dense et multiforme » des relations algéro-françaises, qui « les rend complexes ». Bien qu'aucune date n'ait été fixée, la visite du président Bouteflika reste d'actualité et devrait intervenir durant l'année 2010, affirme une source sûre. Une visite qui interviendra une fois la crise entre les deux pays désamorcée et les dossiers en suspens réglés.