Tassadit Yacine, anthropologue et directrice d'études à l'Ecole des hautes études en sciences sociales (Ehess), qui en a dirigé les travaux, a tenté de cerner la pensée de l'œuvre mammerienne. Elle relève une «quête de berbérité fondée sur l'humanisme» chez Mammeri. Elle détecte cela, entre autres, dans Le banquet (1973), sa deuxième pièce de théâtre, où l'on reconnaît Mammeri l'«humaniste et l'universaliste». L'universalisme se traduit dans le discours de cette pièce de théâtre (précédée du célèbre essai La mort absurde des Aztèques) qui «dépasse les frontières dans lesquelles on veut le situer». Dans Si Ibn Khaldoun revenait parmi nous (Culture savante, culture vécue, 1991), Tassadit Yacine met en valeur l'approche de Mouloud Mammeri, qui l'amène à se questionner sur l'Etat et la raison, en soulignant qu'Ibn Khaldoun défendait la raison. «Mammeri était admiratif d'Ibn Khaldoun. Il a critiqué le goût du merveilleux, le manque de rationalité…», ajoute l'oratrice, pour qui Da L'Mouloud, qui avait la littérature comme «sa discipline de prédilection», s'intéressait à la société et se préoccupait de «l'incivilisation». «Si Mouloud Mammeri était parmi nous, que dirait-il des pouvoirs publics, de la berbérité,… ?» s'est-elle interrogée. A/Halim Beretima, maître de conférences à l'université de Béjaïa, a présenté «Mammeri, de l'exil à la revanche intellectuelle». Da L'Mouloud a-t-il été exilé ? «Il a été en situation d'exil éphémère», estime le conférencier. Pour Abdelkader Yefsah, auteur et politologue, «depuis 1962, Mammeri n'a jamais été exilé». En communiquant sur «Il a été recherché par les paras et il a dû se cacher pendant deux mois. Il a été exfiltré ensuite vers le Maroc avant de revenir au pays en 1962», raconte-t-il, en brossant le portrait de Mammeri «l'éternel insoumis». «On pourrait parler d'exil intérieur, symbolique, affectif. Il faisait des va-et-vient mais il ne s'est jamais absenté plus d'un mois du pays», ajoute Tassadit Yacine. «Homme pluriel, loin de tout dogmatisme», Mammeri est présenté comme un homme inquiété même après l'indépendance, lui qui a été «accusé de berbérisme par les nouveaux maîtres». «Il a refusé de s'inscrire aux oukases des autorités», dit Abdelkader Yefsah, selon lequel «Tizi Ouzou allait être bombardée en 1980, n'eut été l'opposition de Kasdi Merbah». Mouloud Mammeri, «admiratif de Jean Amrouche», était «imperturbable, et avait foi et conscience en son étoile» dit-il. «Son héritage appartient à l'humanité mais c'est aux Berbères de le fructifier», invite-t-il. Parmi les œuvres mammeriennes laissées à la postérité, figurent des travaux en grammaire et linguistique berbère, qui servent encore dans les départements de langue et culture amazighes. Mustapha Tidjet, docteur en tamazight, constate, exemples à l'appui, une évolution dans la transcription de tamazight chez Mammeri. «Il a systématisé et posé des règles pour écrire en berbère», conclut-il, considérant qu'à travers ces avancées, Mammeri «nous invite à évoluer par la recherche». Les travaux du colloque ont continué avec une analyse comparative faite par Ali Sayad, présentant «Mammeri dans le soulier de Cendrillon», et un e rétrospective avec Ramdane Achab qui est remonté «aux origines du Printemps berbère de 1980» qu'il retrouve dans la décennie 1970. Auteur de Tajerrumt n tmazigt (grammaire berbère) (1976), Mouloud Mammeri a été co-fondateur, en 1985 à Paris, de la revue semestrielle d'études berbères Awal (La parole), avec Tassadit Yacine, soutenus par Pierre Bourdieu. La revue fait long feu et vient d'être éditée pour la première fois en Algérie dans ses numéros 43-44 et dont une vente-dédicace a été organisée à l'occasion de ce colloque.