La décision de Blanky de se retirer du partenariat avec l'EPE Enasucre sème un vent de panique parmi les 1100 travailleurs de cette dernière. S'interrogeant sur les raisons réelles motivant une telle décision après des années de partenariat fructueux, la coordination syndicale des employés de l'Enasucre interpelle le chef du gouvernement, par le biais d'une lettre avant-hier, sur l'avenir de leur « gagne-pain ». Dans la lettre signée par le coordinateur du syndicat, M. Boumazza, il est demandé au chef de l'Exécutif d'intervenir pour tirer au clair cette affaire qui suscite des interrogations aussi bien chez les observateurs que chez les économistes. Le cri de détresse des travailleurs de l'Enasucre intervient moins de quatre mois avant la fin du contrat de processing la liant à Blanky. Contrat signé, rappelle-t-on, suite à un appel d'offres. Avant d'entrer en partenariat avec Blanky, premier groupe privé algérien selon le dernier classement fait par la revue Jeune Afrique l'Intelligent, l'Enasucre était complètement déstructurée au point de ne plus arriver à s'approvisionner, à cause d'un lourd découvert bancaire estimé à plus de 22 milliards de dinars. Elle avait même eu une mauvaise réputation au plan international au point d'être mise sur une « black list » établie par l'Organisation internationale du sucre (OIS) dans laquelle sont regroupées toutes les entreprises « non grata » dans le milieu des affaires. C'est dire que l'entreprise doit aujourd'hui sa survie à Blanky. blocage inexpliqué Dans le cadre de la relance du processus de privatisations, le groupe Blankys'est intéressé à la reprise de l'Enasucre. En 2003, après accord du Conseil des participations de l'Etat (CPE), le groupe a entamé un cycle de négociations de gré à gré avec la Société des participations de l'Etat (SGP) Tragral. Négociations auxquelles avaient pris part le SGP, le syndicat, en plus d'un représentant du ministère des Finances. Blanky avait présenté, selon le syndicat des travailleurs, une offre alléchante : augmentation des capacités de production à plus de 2000 t jour en renouvelant les équipements complètement désuets, création de quelque 300 autres emplois et paiement de la dette de l'entreprise vis-à-vis de la BADR (banque publique), évaluée à près de 3,4 milliards de dinars. Outre cela, Blanky avait même envisagé, dans son plan de développement de l'entreprise, de faire l'extension de la raffinerie de Guelma et d'en construire une autre à Khemis Miliana. Grâce à son plan, Blanky obtiendra plus tard 70% du capital de l'Enasucre. Décision signifiée dans une résolution du CPE datant du 22 août 2004. En novembre de la même année, Blanky et la direction d'Enasucre avaient signé le « pacte d'associés ». La coordination syndicale a reconnu, en outre, l'amélioration de la situation de l'Enasucre depuis qu'elle est en partenariat avec Blanky. Selon le tableau comparatif des chiffres d'affaires enregistrés de 2000 à 2004, il est clairement indiqué que l'entreprise a bien réalisé des bénéfices. En 2004, la valeur ajoutée réalisée était de + 279 milliards, alors qu'en 2000 elle était de - 110 milliards de dinars. Quelles sont donc les raisons de ce retrait ? Rappelant que le repreneur avait déjà été confronté à un blocage du temps de Ali Benflis à la tête de l'Exécutif, le syndicat se demande « s'il ne s'agit pas là d'un lobbying exercé par certains groupes de pression sur l'administration ». Les travailleurs sont même convaincus que si le retrait du groupe Blanky se confirme, cela signifie pour l'entreprise publique la cessation d'activité, car le groupe privé n'est intéressé par le processing que dans la perspective d'« aboutir à un réel partenariat avec prise de participation dans le capital social en concrétisant un plan de développement ambitieux matérialisé par le pacte des associés ». Ainsi, le syndicat estime que Blanky a déjà gagné « la confiance des travailleurs » grâce au cahier des charges qu'il avait signé. Crainte des travailleurs Certains milieux ont justifié ce retrait par la remise en cause de la crédibilité du groupe Blanky qui aurait sollicité un crédit bancaire pour racheter cette entreprise. « Si tel est donc le cas, et devant l'urgence de la situation qui exclut le recours à un appel d'offres international qui prendrait au moins 6 à 9 mois, vous nous permettez de vous suggérer de mandater le MDPPI de mener une consultation restreinte avec les repreneurs potentiels nationaux et étrangers », est-il indiqué dans cette missive. Mais selon une source très au fait du dossier, deux commissions bancaires ont déjà approuvé la solvabilité de l'offre de Blanky qui est une entreprise non seulement bancable, mais en situation financière très aisée. Une autre source a évoqué l'existence d'un autre repreneur appelé GROS, importateur de sucre basé à Oran, qui aurait voulu racheter l'Enasucre. Gros aurait même, selon notre source, déposé son offre. Seulement, celle de Blanky demeure plus intéressante. Le syndicat dans sa lettre à Ahmed Ouyahia a joint une copie d'« Une approche comparative de deux projets de raffinerie de sucre » des deux repreneurs potentiels. Selon le tableau comparatif, le projet de Blanky est beaucoup plus intéressant que celui de Gros. A titre d'exemple, la capacité de production par jour telle que présentée par Blanky est de 2000 t/j, extensible à 3000 t/j. Alors que celle de la raffinerie de Gros se limite entre 1200 et 1800 t/j. Face à l'avenir incertain de l'entreprise, le syndicat se dit « préoccupé » par le sort réservé aux 1100 travailleurs. « Il y a péril en la demeure, car le temps joue contre nous », est-il précisé dans la lettre. Le syndicat a insisté sur le fait que l'Enasucre a pu passer d'une situation de quasi-faillite en 1999 à une situation « beaucoup plus confortable en 2004, avec une amélioration de tous les indicateurs et ratios économiques et financiers ». Ainsi, capote la première opération de partenariat entre une entreprise privée nationale et une autre publique. Ainsi, la tournure prise par le partenariat Blanky-Enasucre, qui devait être l'exemple à suivre en matière de privatisation, ne devrait pas aller sans donner à réfléchir, à l'avenir, aux autres privés intéressés par le rachat des entreprises publiques mises en vente.