Attendu de longue date, ce scrutin a été fixé au 17 décembre prochain, soit sept ans après le début de la révolte ayant conduit à la chute de la dictature de Zine Al Abidine Ben Ali. Son report a toutefois été annoncé lundi soir par l'Instance supérieure indépendante pour les élections (Isie) après une réunion avec des représentants des partis, du Parlement, de la Présidence et du gouvernement, qui ne sont en outre pas parvenus à fixer une nouvelle date. «Nous dénonçons le report des municipales (…) et nous le considérons comme un pas en arrière dans le processus de la transition démocratique», ont déclaré dans un communiqué commun quatre ONG, dont Al Bawsala, qui supervise le travail législative depuis les révoltes de 2011, et l'Association tunisienne pour la transparence et la démocratie des élections (Atide). Selon ces ONG, ce report va «dégrader davantage la situation des municipalités que les délégations spéciales ne sont plus capables de gérer». La plupart des partis «ne sont pas prêts» La Tunisie a reporté sine die lundi les premières élections municipales de post-dictature de Ben Ali, prévues au départ pour décembre prochain et attendues de longue date. Arguant de l'état d'impréparation du scrutin, la majorité des partis politiques étaient pour le report des élections. Mais à l'issue de la réunion de l'Isie avec des représentants du Parlement, de la Présidence et du gouvernement, ils ne sont pas parvenus à fixer une nouvelle date. «La majorité des participants était pour le report des élections municipales», a dit Anouar Ben Hassen, président par intérim de cette instance. «Nous sommes tous d'accord sur le fait que le report à une date indéterminée porte atteinte à l'opération électorale», a-t-il déclaré. Il a cependant annoncé «un autre rendez-vous avec les partis politiques dans 10 jours maximum pour déterminer un calendrier avec des délais précis». Le ministre chargé des Relations avec les instances constitutionnelles et la société civile, Mehdi Ben Gharbia, a pour sa part jugé que «reporter les municipales est une mauvaise chose (…) mais finir cette réunion sans fixer une nouvelle date, c'est encore pire». Evoquée dès dimanche par le dirigeant du mouvement islamiste Ennahdha, allié au gouvernement, Rached Ghannouchi, cette décision intervient après un vaste remaniement ministériel qui a été perçu comme un renforcement de la mainmise du président Béji Caïd Essebsi sur l'Exécutif. Rachid Ghannouchi a estimé lundi que «reporter les municipales à une date indéterminée transmettait un message négatif au monde». De son côté, le secrétaire général de l'Alliance démocratique, Mohamed Hamdi, a affirmé : «Nous ne sommes pas prêts pour la date du 17 décembre mais nous sommes contre tout report.» Espérées depuis des années, les municipales permettront d'ancrer le processus démocratique à l'échelon local, avec ses milliers d'élusainsi que d'améliorer la vie quotidienne, dont la dégradation, depuis 2011, irrite les Tunisiens. Dans la foulée du soulèvement de 2011, les municipalités ont en effet été dissoutes et remplacées par des équipes provisoires, des «délégations spéciales». La gestion des villes est devenue défaillante, le ramassage des ordures aléatoire, les infrastructures déficientes. Ce report n'est toutefois pas réellement une surprise, l'Isie, l'instance chargée d'organiser le scrutin, ayant été agitée par des remous au cours des derniers mois. Son président Chafik Sarsar, qui a mené à bien les élections législatives et présidentielle de 2014, a démissionné en mai, en laissant entendre qu'il ne pouvait plus travailler de manière «transparente» et «impartiale». Fin 2017, il a poussé à la tenue des municipales en 2017, estimant qu'un report sur 2018 constituerait un revers pour la transition démocratique. Les récentes craintes de voir s'effriter l'héritage de la révolte de 2011 ont été renforcées par les déclarations du conseiller politique de Nidaa Tounes, Borhane Bsaies, selon lesquelles le parti du président est favorable à un appel à un référendum en vue d'un changement du régime politique. «ll y a un agenda politique qui se prépare et qui prévoit une révision de la Constitution et un appel à un référendum pour le changement du régime politique du pays», a affirmé lundi Zied Lakhdhar, député et membre responsable du Front populaire (gauche). Signe d'une défiance de la population, la campagne de sensibilisation pour les municipales a été laborieuse, l'Isie enregistrant moins de 500 000 nouveaux votants, sur trois millions de nouveaux électeurs potentiels. Au total, près de cinq millions de Tunisiens devaient élire les responsables de 350 municipalités, sur la base d'un scrutin proportionnel à un tour. Le taux de participation devait être un des enjeux de ces élections, dans un pays où la jeunesse, à l'origine de la révolte, exprime régulièrement son ras-le-bol persistant envers le chômage et la misère, principalement dans les régions défavorisées de l'intérieur. «Tout le travail accompli jusqu'ici par l'Isie n'aura servi à rien, car quelle que soit cette nouvelle date, tout est à refaire, à commencer par l'opération de réinscription», a estimé lundi le quotidien La Presse.