Les petits producteurs de pommes de terre de Mostaganem sont à l'agonie. Alors que le mildiou ravage les champs, ils sont obligés de récolter avant terme, faute de pouvoir acheter des traitements trop coûteux. Mais pourquoi ne vient-on pas à bout du mildiou ? Un rendement de 50 quintaux à l'hectare contre 500 à 600 en temps normal : le retour du mildiou sur les parcelles de pommes de terre fait des dégâts dans la wilaya de Mostaganem. La pluie et les températures supérieures à 18°C des dernières semaines ont favorisé le développement du champignon au point que les producteurs ont anticipé la prochaine récolte et estiment la baisse de rendement à 10 quintaux par hectare et par jour. Car plus on récolte tôt, moins on récolte, puisque le tubercule n'est pas encore arrivé à maturité. « A Touahria, Sirat, Bouguirat et Mansourah, les fellahs se trouvent dans une détresse totale, relève un spécialiste de la région. Car non seulement le mildiou ravage la récolte en cours mais il s'attaque aussi aux tubercules en terre. Ils doivent donc se dépêcher de récolter avant que la production soit complètement pourrie. Sachant qu'il faut investir entre 300 000 et 450 000 DA par hectare, comment vont-ils rentrer dans leurs frais si l'hectare ne leur rapporte que 120 000 DA, ce qui est le cas en ce moment ? Les gros producteurs s'en sortent, mais pas les petits. » Pourtant, le mildiou est une maladie récurrente et connue depuis longtemps. Et les produits phytosanitaires existent. Alors pourquoi fait-elle encore autant de dégâts ? Les traitements coûtent cher Dans un pays européen, les années où il ne pleut pas trop, les agriculteurs tablent en moyenne sur 30 traitements au cours des 150 jours du cycle de la pomme de terre. En Algérie, où en raison du climat plus chaud, le cycle n'est que de 90 à 110 jours, il faudrait compter sur 20 à 25 traitements. Soit un traitement tous les 4 jours. Or, on est loin du compte… Pourquoi ? « D'abord parce que les traitements coûtent cher, explique un spécialiste de la pomme de terre. Prenons les produits de surface, appelés produits de contact. C'est vrai, ils ne sont pas chers (entre 300 et 500 DA le kilo pour traiter à peine 0,5 hectare, voire moins lorsque la végétation se densifie). Mais ils sont rapidement lessivables. » En clair : la rosée, la pluie, l'eau de l'aspersion… lavent les feuilles qui offrent tout de suite des conditions idéales pour le mildiou. A ces produits-là, il faut ensuite ajouter les produits systémiques. Leur rôle : au lieu de rester sur les feuilles, ils pénètrent dans la plante, circulent dans la sève et protègent les anciennes et les nouvelles feuilles jusqu'à 14 jours. « Mais le fellah doit débourser 5000 DA pour… un seul hectare et pour un seul traitement ! » Enfin, pour ceux qui peuvent, ils investissent dans le nec plus ultra, les translaminaires : des produits qui viennent d'être homologués et qui traversent les feuilles, poursuivent les spores du mildiou et bloquent leur multiplication. Ceux-là sont surtout utiles lorsque la végétation ne se développe plus, car ils ne protègent pas les nouvelles feuilles, contrairement aux produits systémiques. Là encore, le coût à l'hectare est de 4500 à 5000 DA. « Le calcul est simple : si le fellah a 100 ha et qu'il assure au moins 15 traitements, la facture de base sera augmentée de 7,5 millions à 12 millions de dinars, soit un coût final de près de 60 millions de centimes pour 1 ha !… Pour un grand producteur, ce n'est peut-être pas grand-chose mais pour un petit fellah, qui a investi jusqu'à son dernier centime dans une parcelle, le coût est énorme. Et l'Algérie ne soutient pas financièrement ses producteurs ! » Dernier détail : il existe sur le marché des produits phytosanitaires moins chers, notamment en provenance d'Asie, mais leur efficacité reste à prouver. Les champs ne respirent pas assez C'est une règle de base en agriculture : pour que la terre ne s'épuise pas et résiste aux maladies, elle doit se reposer et les cultures doivent s'alterner. « Or, en Algérie, on produit de la patate tous les ans, tous les mois, tous les jours…, sur les mêmes parcelles, poursuit le spécialiste. Il ne compte même pas 10% de nouvelles terres acquises chaque année à la pomme de terre, et les champs produisent au moins deux récoltes pas an. » Résultat : le mildiou et d'autres maladies trouvent là un terrain idéal. Une fois une récolte terminée, en avril-mai, il restera toujours des tubercules abandonnés sur le champ. Certains vont repousser dès que le sol est humidifié pour les cultures estivales, voire au moment du semis d'arrière- saison, en août ou septembre. Comme les sols sont contaminés par le mildiou, le champignon va se mettre sur les repousses ! Il ne se manifestera pas en août, car il n'aime pas la chaleur, mais dès les pluies ou à la première imbibition de septembre, il se réveillera et attaquera les toutes premières feuilles… Le cycle infernal peut alors reprendre ! Les fellahs ne sont pas assez sensibilisés « On nous parle des avis de traitement émis par l'Institut national de la protection des végétaux, mais vous croyez que les paysans écoutent les radios de la tchi tchi ?, s'énerve un technicien. Alors soi-disant, il y a des techniciens en veille sur le terrain, mais qu'on ne nous raconte pas n'importe quoi ! Ils n'ont même pas une mobylette, alors une voiture…. Or, pour surveiller le mildiou, il faut être tous les matins sur la parcelle ! » Reste les campagnes de sensibilisation menées par les conseillers agricoles. « Qui pour la plupart émargent dans des firmes ; mais lorsqu'ils disposent de véhicule et de téléphone, ils ne peuvent couvrir tout l'espace rural. Si un délégué communal connaît plus de trois paysans, c'est un exploit ! Et puis dans la wilaya de Mostaganem, les réunions de sensibilisation menées par des techniciens qui parlent français avec l'accent kabyle, ou même en arabe dialectal de Annaba ou de Skikda, voire d'Alger, ça ne marche pas ! Il faut s'adresser aux fellah dans le patois du cru, sinon ils ne retiendront pas grand-chose. »