L'avenir politique de l'Irak a franchi hier une nouvelle étape par l'inauguration de la première institution de l'après-Saddam Hussein, le régime irakien renversé par l'armée américaine qui a envahi ce pays en mars 2003. Cela ne veut pas dire pour autant que tout est clair, et encore plus que ce pays vit réellement une période d'après-guerre, car, à vrai dire, celle-ci n'a jamais cessé. En ce sens, de nombreuses explosions ont marqué hier la première séance de l'Assemblée nationale irakienne élue le 30 janvier, ouverte presque au même moment à Baghdad, près de deux ans après le déclenchement de la guerre. Les 275 députés ont commencé leur réunion au Palais des congrès, dans la « Zone verte », secteur ultraprotégé où sont situées l'ambassade des Etats-Unis et les bureaux du gouvernement intérimaire, et non pas au siège de l'ancien Parlement, pillé pendant la guerre. Il s'agit d'une réunion uniquement protocolaire, présidée par le doyen d'âge de l'Assemblée, car faute d'un accord entre les principales forces du pays, elle ne choisira ni son président ni le Conseil présidentiel, la plus haute instance de l'Etat. « La séance inaugurale, présidée par le doyen d'âge, marquera l'entrée en fonction officielle de l'Assemblée nationale intérimaire et elle se bornera à quelques discours », a affirmé Hoshyar Zebari, ministre des Affaires étrangères du gouvernement sortant et un des négociateurs kurdes. « L'accord final sur les postes à la tête de l'Etat comme ceux de président, de Premier ministre ou de président de l'Assemblée ainsi que la composition du gouvernement continuera d'être examiné en dehors du Parlement », a-t-il précisé. « Ces questions doivent faire l'objet d'un accord global (entre les principaux groupes) et nous espérons y parvenir le plus rapidement possible », a-t-il ajouté. « Nous n'avons pas été en mesure de trouver hier (mardi) un accord et c'est pourquoi il s'agit seulement d'une séance inaugurale avec prestation de serment », a affirmé le numéro deux du parti chiite Dawa, Jawad Al Maliki, qui a fait état de prochaines réunions en vue d'un accord et pour décider de la prochaine session de l'Assemblée. Pour la première fois depuis la création de l'Irak moderne en 1920, les deux communautés qui avaient été exclues des plus hautes instances du pouvoir sont en passe d'y accéder. Les Kurdes briguent la Présidence. Leur candidat est le chef de l'Union patriotique du Kurdistan (UPK) Jalal Talabani. La liste chiite a présenté la candidature d'Ibrahim Jaâfari, chef du parti islamiste Dawa, pour le poste de Premier ministre. En revanche, les sunnites qui ont toujours tenu les rênes du pouvoir, et qui ont boycotté les dernières élections, devront se contenter de postes de deuxième ordre. Le choix du Conseil présidentiel, c'est-à-dire le chef de l'Etat et les deux vice-présidents, requiert une majorité des deux tiers de la nouvelle assemblée. Ce conseil choisit à l'unanimité le Premier ministre, et le gouvernement doit obtenir ensuite l'investiture du Parlement à la majorité simple. Mais, en dépit de multiples réunions, les deux principales formations, l'Alliance irakienne unifiée (AUI), soutenue par le clergé chiite, qui compte au moins 176 sièges, et le groupe kurde, qui a 77 députés, n'ont pas réussi à se mettre d'accord. La liste du Premier ministre sortant Iyad Allaoui a gagné 40 sièges et celle du chef de l'Etat, le sunnite Ghazi Al Yaouar, cinq. Les Kurdes, dont les trois provinces constituent une zone autonome dans le Nord, ont exigé un accord écrit sur les questions essentielles du fédéralisme, de la ville pétrolière de Kirkouk, arabisée sous Saddam Hussein et qu'ils revendiquent, et du statut de leurs milices, les peshmergas, dont ils refusent l'intégration pure et simple dans l'armée irakienne. La date du 16 mars choisie pour l'inauguration du Parlement est symbolique. Les députés se sont retrouvés dans le Palais des congrès le jour anniversaire du gazage en 1988 de la localité kurde de Halabja par l'armée irakienne. « C'est un jour historique. Les Irakiens espèrent que l'Assemblée nationale formera un gouvernement qui les servira mieux », a affirmé Hussein Chahristani, un dirigeant de l'AUI. « Les chiites ont le sentiment en ce jour que le sang des victimes a eu raison de la tyrannie et qu'ils peuvent désormais bâtir un avenir civilisé et démocratique pour leurs enfants et leur épargner ceux qu'ils ont vécu », a-t-il déclaré avant l'ouverture de la séance. Là visiblement s'arrête la liste des points communs qui avaient permis de sceller l'alliance de l'opposition en décembre 2002 à Londres, lors d'une conférence réellement historique, car l'opposition à l'ancien régime était trop éparpillée, et même extrêmement divisée. Le dénominateur ou l'ennemi commun, ayant disparu, chaque partie reprend sa liberté, et avec elle ses positions qui ne sont pas toujours celles des autres. C'est pourquoi, le nouveau Parlement aura fort à faire. Plus que cela, la classe politique irakienne désormais au pouvoir dispose d'une marge de manœuvre extrêmement étroite pour éviter l'éclatement du pays, et au pire, une guerre civile.