Le secteur des chemins de fer semble résolument amarré à la locomotive du développement. A en juger du moins par l'appréciation favorable qu'en font aujourd'hui des usagers qui ont depuis longtemps désappris le voyage en train et qui le reprennent de plus en plus nombreux à présent. La rénovation des grands axes du réseau et le renouvellement des équipements à coup de budgets faramineux donnent, certes, des résultats engageants, mais beaucoup de chemin reste à parcourir pour faire du secteur ce vecteur stratégique de développement économique. Une fois n'est pas coutume, parlons des trains qui arrivent à l'heure ! « Ce sont les habitués, qui connaissent à la minute près les horaires des départs », commente précipitamment une guichetière toute occupée à annoncer au speaker l'entrée en gare des trains. Il est près de midi, la gare de l'Agha, une des stations les plus fréquentées de la capitale, connaît un incessant va-et-vient. Dans la foule, se croisent femmes et hommes, jeunes et moins jeunes, bagages ou simple serviette à la main, chacun vaquant à son rythme. Certains pénètrent le portillon d'un pas assuré, parcourent rapidement le vestibule, achètent directement leur billet et vont rejoindre les quais. « Ce sont surtout les passagers du matin et de fin d'après-midi », affirme la dame du guichet entre deux appels lancés aux passagers. A cette heure de grande affluence, les klaxons stridents des embouteillages se mêlent au brouhaha de l'agence. « Pour me rendre à mon lieu de travail en voiture, avec tous les barrages de police et les nombreux bouchons, je mets parfois 2heures, et même plus lorsque je prends le bus », peste une jeune femme. Une perte de temps considérable, mais aussi et surtout une mise à rude épreuve des nerfs. « En train, le trajet dure près d'une heure. Bon peut-être bien que ce n'est pas aussi ‘pénard' que le confort de sa voiture, mais, au moins j'évite d'une part les retards et d'autre part la crise de nerfs », dit-elle en haussant les épaules. D'autant plus que pour ce qui est du confort, les usagers sont plutôt comblés. « Les rames sont beaucoup plus spacieuses, et même lorsqu'elles sont bondées, les autres ne sont pas obligés de se coller à vous. Les voitures sont climatisées, il y a plus de places assises et même lorsque l'on reste debout, il y a assez d'anses et de barres pour ne pas tomber », explique une étudiante. Son amie renchérit : « Et l'on sent moins les cahots ». On se plaint des gares Quid de la sécurité pour des jeunes filles qui voyagent seules ? « Il y a des caméras de surveillance. Bon, vous me direz que cela n'empêche rien, mais c'est toujours dissuasif », avance l'une des adolescentes. L'interrompant, sa camarade estime que « c'est surtout grâce à la présence des gendarmes qui sillonnent parfois les wagons ». Il semblerait même que la modernité des nouveaux trains et leur propreté aient un impact sur le comportement des usagers, vraisemblablement un tantinet « plus civilisés ». « Les quelquesfois où nous prenons le train, cela nous donne l'impression d'être un écolier qui étrenne un nouveau cahier et qui s'applique à écrire soigneusement », confient, moqueuses, une mère et sa fille qui consultent les horaires des dessertes. « Lorsque l'on n'a pas l'habitude, il est préférable de vérifier à deux fois les programmes, au risque de se retrouver en route pour Oran, parqué dans un wagon diesel », rient-elles. Car, au côté des initiés, il y a d'autres voyageurs, les « occasionnels ». Plus hésitants, ils sont reconnaissables à leur perplexité, teintée de gaucherie, debout dans le hall de la gare, sur les murs des écrans muraux indiquent l'heure de certains départs. Une jeune femme les consulte d'ailleurs attentivement. « Chlef, Oran, El Affroun,… », lit-elle, ajoutant : « Non, ce n'est pas ce que je cherche. » Attentive, elle se dirige vers un tableau d'affichage. « J'avoue être un peu perdue », dit-elle, un brin embarrassée. « D'habitude, pour aller à Béjaïa, je prends l'avion, voire, plus rarement le bus », raconte la jeune femme. Pour elle, c'est « le baptême du feu ». « J'avoue que j'appréhende un peu. Mais ma tante, qui a déjà effectué ce déplacement, m'a assuré que ‘tout marche comme sur des roulettes' », plaisante-t-elle. Et à l'instar de nombre de citoyens, celle-ci a attendu que « d'autres fassent le test ». Essais concluants, puisque les usagers, réguliers ou non, sont de plus en plus nombreux. « Nous connaissions une fréquentation assez importante, mais depuis l'année dernière, et l'inauguration des trains électrifiés, le nombre de voyageurs et d'abonnés a significativement augmenté », assure une employée de la SNTF. Et la relative cherté des places, jusqu'à 80 DA pour les navettes vers les banlieues est et ouest, et plus de 1000 DA pour les plus longs trajets, ne saurait les en dissuader. Bien au contraire, puisque nombreux sont ceux qui, pour les très longues distances, optent pour l'autorail. Alors, le train, l'essayer, c'est l'adopter ? Pas à coup sûr. Lorsque certains se plaignent des gares et des quais qui gagneraient à être mieux aménagés, ou encore du manque d'informations et de signalisations, d'autres reprochent à la SNTF de ne pas avoir mené jusqu'au bout la modernisation des infrastructures. « Je ne comprends pas pourquoi ils ne se débarrassent pas une bonne fois pour toutes des trains diesel ! », s'exclame un couple, qui, déplore qu'Oran ne puisse pas elle aussi être ralliée par train électrique. Ces derniers sont confortés dans leurs propos par un jeune homme qui estime que « le nombre d'automotrices programmé est trop réduit ». Décidément peu convaincu, il poursuit : « L'on nous a d'ailleurs un peu eus sur ce coup, faut-il l'avouer. Avant son lancement, l'on nous affirmait que le trajet ne durerait, de la banlieue à la capitale par exemple, qu'une vingtaine de minutes. Mais, au final, ça dure quand même plus d'une heure. » Les Algériens seraient-ils des éternels insatisfaits ?