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A la recherche du temps perdu
Publié dans El Watan le 17 - 02 - 2019

«Un peuple qui oublie son passé se condamne à le revivre»
Winston Churchill
«La folie, c'est de faire toujours la même chose et de s'attendre à un résultat différent.»
Albert Einstein
L'Algérie est un pays riche et plein de promesses, j'en suis pleinement convaincu. A moins de l'y forcer, le pays ne sombrera jamais dans le chaos ni dans la misère, les richesses et potentialités du pays sont incommensurables, inexploitées peut-être, mais le moment venu, un sursaut de conscience citoyenne qui commence déjà à se déployer courageusement ça et là affranchira le pays de cette servitude et misère endémique qui lui ont été imposées depuis plus d'un demi-siècle.
Il y a partout dans ce pays extraordinaire des personnes de bonne volonté, pleines de ressources, avec du génie à revendre et capables de relever n'importe quel défi. Mais aucun changement ne pourra survenir sans qu'il n'y ait au préalable la réhabilitation de l'Etat.
Celui-ci, tel qu'il a émergé dans l'histoire, constamment en quête d'une légitimité et d'une crédibilité qu'il n'aura jamais cessé de saper lui-même commence à s'user.
Il aura joué toutes ses cartes, utilisé tous les moyens imaginables, la répression, la corruption, la cohabitation. Complètement rongé par la rente, le pouvoir comme fin en soi, la recherche du profit, il finira par devenir une coquille vide que se disputeront une myriade d'aventuriers et d'opportunistes. Un «bien vacant» qui me fait penser à l'histoire assez instructive du célèbre et attendrissant «bernard l'hermite».
On raconte que cette pauvre bestiole évolue principalement la nuit, et vit jusqu'à 450 mètres de profondeur, un crustacé dont le thorax est recouvert d'une carapace mais qui possède un abdomen très mou. Il se réfugie donc dans une coquille de gastéropode (comme les bulots par exemple) trouvée sur le fond. Une opération qui lui vaut d'ailleurs le surnom d'ermite, puisqu'il se cache dans les coquilles abandonnées pour se protéger de ses éventuels prédateurs. Il est condamné à changer régulièrement de coquille en grandissant.
La fréquence des changements dépend de la croissance de l'animal et diminue inéluctablement lorsqu'il vieillit. Etrange destin, n'est-ce pas ? Condamné à vivre dans l'obscurité, à fuir, à se cacher, à se dissimuler, et trimballer son abdomen mou de coquille en coquille et terminer sa course éperdue, complètement impotent et incapable de déménager encore une fois. L'Etat n'aura été hélas que cette coquille vide, envahie en permanence par une quantité de «bernard l'hermite» qui pensent l'habiter un instant, le temps de prospérer avant d'être chassés à leur tour par d'autres prédateurs. Plus d'un demi-siècle après l'indépendance, personne n'arrivera à comprendre comment on a pu reproduire les mêmes échecs cuisants avec des hommes qui semblaient dotés d'une intelligence et d'un patriotisme avérés.
Doit-on accepter comme seules explications à cette tragédie nationale l'attrait du pouvoir et cette maudite rente intarissable ? Est-ce suffisant pour inhiber toutes vertus et lucidité chez des hommes qui paraissaient sains d'esprit ? Voilà plus d'un demi-siècle que nous avons chassé l'oppresseur. Nous avions en tête les rêves les plus fous qui finiront par s'évaporer et ne laisser hélas subsister que folies compulsives.
Nous sommes en 1999, l'Etat s'affaire à éteindre un incendie dont il est en partie responsable.
Le peuple, toujours sous le choc, traumatisé et anéanti panse ses plaies, cherche les siens ou ce qu'il en reste au milieu des décombres et des charniers, il essaye de se retrouver dans cet enfer, comprendre ce qui s'était passé et comment il s'était retrouvé otage d'un conflit barbare généré par la folie des hommes, par leurs cupidités et leurs entêtements. On négociera une cessation des hostilités, on ira ailleurs chercher les hommes de la situation, car ceux qu'on avait sous la main ne faisaient pas l'affaire, trop impliqués ou peu crédibles. Le président Abdelaziz Bouteflika sera l'Elu.
«J'éteindrai les feux de la discorde, je m'engage à relancer l'économie nationale, je rendrai à l'Algérien sa dignité et à l'Algérie sa place dans le concert des nations»,(1) martèlera-t-il dès le début de son règne, avec force, vigueur et assurance. Le peuple exulte et se rassure. La paix revient et dans son sillage des charognards patients et déterminés, car il y a toujours des proies, des festins, quelque chose à dépecer.
Le président prudent et avisé savait que la tâche ne sera pas de tout repos, il y aura toujours des incendies à éteindre et des ogres à rassasier. Néanmoins, l'enthousiasme du président et cette manne miraculeuse et opportune permettaient ce défi et cet espoir. Comme disait notre cher et regretté El Hachemi Guerrouabi, «El barah, kanat lémoual tétlaouah, sahat lébdan tétrayah». En pleine force de l'âge et avec de l'argent à ne plus savoir quoi en faire, le président pouvait jouer à la vigie dans cette baie de flibustiers et de squales, avec l'espoir de réussir là où beaucoup ont échoué et vaincre un ennemi impénétrable, celui que l'on invite en toute confiance chez soi, espérant naïvement l'apprivoiser. Le temps passe, c'est l'heure des bilans.
Les hyènes sont toujours là, autour d'un président affaibli qui se remémore avec amertume et désolation les promesses qu'il avait faites un jour. Une génération plus tard, c'est le président lui-même qui s'éteint doucement mais inexorablement, sans avoir (à son corps défendant) réussi à faire de cette économie nationale autre chose qu'un souk «Kéch Bakhta et fnadjél Mériem», comme il avait coutume de persifler. La rente est antinomique à l'émancipation et au développement, pire encore, elle sera source de conflits et d'instabilités politiques récurrentes.
La dignité de l'Algérien et la place de l'Algérie dans le concert des nations dont rêvait le président se résumeront en une lutte féroce au sein de cette nouvelle bourgeoisie de «Baguarra et shab echkara» qui avec effronterie et assurance estiment, face à la déliquescence de l'Etat, qu'il est désormais permis à n'importe quel roturier de prétendre à de hautes charges politiques, ceux-ci brigueront le pouvoir et purgeront complètement l'Etat de ses nobles fonctions traditionnelles. On verra, associée à cette rapine, une constellation d'élus rongés par la cupidité et les privilèges de leur caste parasitaire, tandis que la fameuse discorde, elle est toujours là, presque semblable à celle de 1962 et à celle de 1992. Les mêmes simulacres politiques induisant les mêmes perversités sociétales. Il n'y a pas de quoi pavoiser. La discorde n'avait jamais disparu, toujours tapie dans l'ombre, dans le cœur de chacun.
On croyait seulement la contenir au moyen de la répression, on pensait la soudoyer avec de l'argent. Une partie de la jeunesse prendra le maquis, pas celui de «Zbarbar», mais celui de Lampedusa et de Murcie. Ils voguent en sifflotant sur les pas de Tarik Ibn Ziad, désespérés ou inconscients, avec un cœur empli de haine et une cervelle bourrée d'espoirs et de chimères. Rien ne les dissuadera, ni les centaines de naufrages, ni les camps de rétention. Ils s'en vont pêle-mêle, enfants, femmes et vieillards, à la conquête de quelque chose.
Un spectacle ubuesque, affligeant, pathétique, émouvant, révoltant. Ironie de l'histoire, Tarik Ibn Ziad, haranguant ses troupes, dira en cette journée mémorable : «Vous avez devant vous un ennemi puissant et derrière vous une mer furieuse qui dévore ceux qui s'affrontent à elle.» Sur ces mêmes côtes, sous ces mêmes cieux, notre jeunesse chante aujourd'hui : «L'espoir est devant nous et la misère derrière» et quitte à périr « Yakoulna élhout ou ma yakoulnach éddoud.»
Comment en est-on arrivé là ? Autant de saccage et de rapine et une justice saisonnière et intermittente face à autant de perversités. Un pays où il y a toujours pour ces détrousseurs de grands chemins une diversité de moyens de s'enrichir, où les affaires continuent même en temps de crise, où de nouveaux complots se trament. Mais le pouvoir est magnanime et oublieux, il pardonnera tous les péchés à tout le monde, sauf aux pamphlétaires. Le pouvoir craint la vérité, il affectionne les courbettes, les ovations et les thuriféraires. Le pouvoir exècre les Cassandre, il préfère se barricader au milieu des ménestrels. Tout ce qu'on absout et refoule, tout ce qu'on essaye de conjurer finira par arriver. Fatalité inexorable : «Puis il descendit seul sous cette voûte sombre.
Quand il se fut assis sur sa chaise dans l'ombre. Et qu'on eut sur son front fermé le souterrain, L'œil était dans la tombe et regardait Caïn.»(2) Aucune conscience ne peut effacer ou réparer un crime, et surtout un crime qui se répète à l'infini.
1954 – La Proclamation du 1er Novembre commencera ainsi : «Peuple algérien, militants de la cause nationale, à vous qui êtes appelés à nous juger…».
En effet, c'est ce que les Algériens n'ont jamais cessé de faire en silence ou dans un vacarme inaudible et méprisé : juger ! Où plutôt porter des jugements. On ne fait que cela depuis 1962. Cette même Proclamation se proposait de «sortir le mouvement national de l'impasse où l'ont acculé les luttes de personnes et d'influence… de placer l'intérêt national au-dessus de toutes les considérations mesquines et erronées de personnes et prestige, conformément aux principes révolutionnaires».(3)
1956 – La Plate-forme de la Soummam prônera aussi «le bannissement du pouvoir personnel et l'instauration du principe de la direction collective composée d'hommes propres, honnêtes, imperméables à la corruption, la condamnation définitive du culte de la personnalité, et la marche en avant dans le sens historique de l'humanité et non un retour vers le
féodalisme».(4) De funestes appréhensions ou prémonitions qui seront confirmées assez tôt par le tristement célèbre Congrès de Tripoli et la crise de l'été 1962.
L'auto-intronisation de Ben Bella et sa destitution par Boumediène s'inscrivent en droite ligne de cette idéologie de la violence, de l'arbitraire et de l'aventurisme politique assumés et confirmés ultérieurement. Et même si, comme le disait Max Weber, «aucune éthique au monde ne peut nous dire non plus à quel moment et dans quelle mesure une fin moralement bonne justifie les moyens et les conséquences moralement dangereuses»,(5) l'échec patent et répété de ces modus operandi désastreux discréditera et démystifiera toutes les fins prétendues «moralement bonnes» que le pouvoir essayera de faire prévaloir.
La République sera légitimée, validée et évaluée à l'aune des camaraderies et des renvois d'ascenseur, des cooptations et du népotisme. La République ainsi lancée, à contre-courant des principes de la Soummam et de Novembre1954, sera consacrée et inaugurée en tant «République des camarades», pour reprendre le quolibet de Ferhat Abbas, une République mort-née, fustigée, contestée et honnie.
1963- Notre premier président de la Constituante algérienne dira : «Quand on veut fonder un parti, il n'est pas question de créer une catégorie de privilégiés et de super-citoyens… de nouveaux caïds, un régime qui fabriquera des robots, des opportunistes et des courtisans.»(6) Le temps passant, les artisans ou partisans de ces coups d'Etat permanents se rendront tous compte du coût à payer et des effets pervers de leurs duplicités politiques.
Nous sommes en 1964, seulement quelques années après l'indépendance, Mostefa Lacheraf décrit un pouvoir qui présentait déjà des signes avancés de déliquescence : «Objectivement, nous n'avons fait aucun effort sur nous-mêmes pour conjurer les risques et les malheurs dont notre pays a souffert… Peut-on décemment parler d'esprit révolutionnaire, de garants de la Révolution, en évoquant des hommes qui ne savent même pas se retenir sur la pente facile des tentations matérielles, de la soif frénétique de s'enrichir et de s'embourgeoiser ?»(7)
1974- Le président Houari Boumediène, confronté lui-même à ce rouleau compresseur de la forfaiture et de la prédation, mit en marche bien avant l'indépendance, (véritable tragédie faustienne qui fera prendre conscience à chaque dirigeant le coût à payer quand on pactise avec le diable), dira en 1974 : «Le gaspillage des biens de l'Etat est un crime qu'on ne peut taire. Je n'accepterai jamais que les instruments de l'Etat soient mis au service des intérêts personnels.
La Révolution n'est pas une joute oratoire mais une parole que confirment les actes. Le profit illégal ne doit pas exister. Quant à ceux dont le seul souci est de gagner de l'argent, il faudrait qu'ils sachent une fois pour toutes, qu'il n'ont pas de place dans l'Etat, au parti et dans l'armée.»(8)
C'est quand même extraordinaire de réaliser comment les choses avaient pu évoluer, comment s'était mis en place l'opposé de cet idéal des pères fondateurs de la Nation algérienne. Comment ces craintes fondées finiront par constituer la seule réalité qui caractérisera les institutions algériennes depuis plus d'un demi-siècle.
Nous sommes en 1988, les choses vont très mal, l'aventurisme politique et la fuite en avant mènent depuis longtemps le pays vers un désastre annoncé. Les causes ? Toujours les mêmes : un infantilisme et un autisme politiques soutenus par la répression.
Le sociologue M'hamed Boukhobza en dressera un bilan terrifiant : «Trois décennies après l'indépendance, l'objectif de libérer le citoyen au double plan économique et culturel n'a pas été atteint… Une large fraction de l'Algérie se trouve à l'égard du système en place dans une situation presque similaire ou plus exactement homothétique, à celle des débuts des années 1950 : identité menacée, aspirations contrariées, chômage chronique, horizons bouchés, possibilités de promotion hypothéquées ou aléatoires.
D'où la quête d'une issue pour s'en sortir et d'où une nouvelle fois les prédispositions à la mobilisation et à la contestation autour des idéologies populistes de substitution.»(9) La «rupture» évoquée par le sociologue sera certes violente et avec des conséquences terribles, quant à l'«évolution», elle sera comme toujours pervertie, mystifiée et dangereusement factice. On s'attendait à ce qu'elle débouche sur une prise de conscience et une volonté sincère et désintéressée de résoudre la crise par le dialogue et le retour à l'Etat de droit.
L'accalmie fut très brève, tout le monde déchantera bientôt car les haines et les complots ne s'étaient tus que pour mieux se préparer à des affrontements d'une violence inouïe. «Rupture et oubli», cycle infernal, calamité sysiphienne. L'autisme politique conduira le pays de tribulations en tribulations, on imaginait qu'il fallait seulement gérer des émeutes populaires pour réinstaurer le plus normalement du monde une paix sociale.
Tous les Gavroche algériens et les laissés-pour-compte consentiront à cette paix des braves, à cet armistice, néanmoins les ressentiments et la haine se cristalliseront de part et d'autre au sein de tendances plus radicales que l'Etat aura beaucoup de mal à maîtriser.
Nous sommes en 1991, les résultats des premières élections libres ne sont pas du goût de certains, on décide alors de pratiquer une IVG au processus électoral.
C'est un putsch auquel participeront une mosaïque de personnalités toutes tendances confondues, militaires, intellectuels, partis politiques… Des protagonistes qui seront tous évincés, la plupart par cette démocratie, même qu'ils pensaient sauver.
Les principaux griefs contre la mouvance islamiste, les menaces présupposées ou certaines que l'on attribuait au FIS ne disparaîtront pas pour autant une fois la République réinstaurée :
1- «Le Front islamique du Salut (FIS) voulait s'emparer du pouvoir par la force».
(Et c'est ce qu'on a continué de pratiquer depuis, entre démocrates, et jusqu'à ces dernières élections municipales).
2- «Si le FIS arrivait au pouvoir, il ne respecterait ni la Constitution, ni les lois et ruinerait le pays politiquement et économiquement.» (Le pays sera quand même ruiné politiquement et économiquement par les démocrates eux-mêmes et tous ceux qui prétendaient le sauver contre la menace islamiste).
3- «Il y avait nécessité d'assurer l'ordre et de rétablir l'autorité de l'Etat.» (L'ordre et l'autorité de l'Etat ne seront jamais autant bafoués que pendant cette période où le barbu-croquemitaine était définitivement maté, phagocyté et recyclé).
4- «Il était urgent de promouvoir le décollage économique et de lutter contre le chômage.» (La République, bien que définitivement débarrassée des barbus, et avec des milliards de dollars, restera impuissante à réaliser son décollage économique et à endiguer fortement chômage).
«A l'origine, ce n'est pas l'intégrisme qui a discrédité le pouvoir de l'Etat, c'est plutôt celui-ci qui, perdant la nécessaire crédibilité de tout vrai pouvoir national, s'est disqualifié auprès des masses populaires. L'intégrisme était le révélateur chimique de cette débilité doublée d'une impuissance indigne de toute autorité qui se respecte».(10) Rupture et oubli, le titre de Mostefa Lacheraf est évocateur, il rend compte là aussi que cette rupture, cette césure toujours violente, omniprésente, consubstantielle à l'oubli et à l'amnésie ne sera jamais définitivement libératrice et salutaire.
Elle traduit au contraire un mépris à l'égard d'une histoire riche d'enseignements et d'avertissements. Acteur de premier plan, Mostefa Lacheraf, après avoir dès le lendemain de l'indépendance dénoncé cette déliquescence politique originelle, le voilà trois décennies plus tard contraint à faire le même diagnostic comme si le temps s'était figé.
Mostefa Lacheraf impute au pouvoir cette tare de «débilité» ; en effet, il y a lieu de prendre cette expression au premier degré, un pouvoir malade et lui-même pathogène, virulent et contagieux. «La fin de l'Etat n'est pas de faire passer les hommes de la condition d'êtres raisonnables à celle de bêtes brutes ou d'automates, mais, au contraire, il est institué pour que leur âme et leur corps s'acquittent en sécurité de toutes leurs fonctions, pour qu'eux-mêmes usent d'une Raison libre, pour qu'ils ne luttent point de haine, de colère, de ruse, pour qu'ils se supportent sans malveillance les uns les autres. La fin de l'Etat est donc en réalité la liberté.»(11) Nous sommes en 1999 : dès le début de son règne, le président Abdelaziz Bouteflika, ulcéré par l'incommensurable dégradation des rapports entre les institutions et la société, affirmera sans ambages : «Depuis que je suis au pouvoir, je suis arrivé à la conclusion que l'Etat algérien était bien pourri…
Je ne connais pas de pays au monde où la crise morale a débouché sur un si grand nombre de perversités et où l'Etat national a, à ce point, vacillé… la violence se confond dans un magma de brigandage, de mafiosi, de gens véreux».(12) Plus tard, il finira aussi par s'en prendre, comme l'avait fait avant lui le président Houari Boumediène, à ceux qui utilisent la Révolution comme un fonds de commerce. Ce n'est que peine perdue, car c'est avec eux qu'on a fabriqué l'Etat, il sera peu aisé de s'en débarrasser aussi facilement. «L'Etat, c'est nous», dira récemment l'ex-patron du FLN, Ould Abbès.
Il serait inconvenant de lui en vouloir pour cet aphorisme percutant. En effet, comment peut-il en être autrement. Il en a toujours été ainsi. La Révolution sera hélas instrumentalisée à des fins plus ignobles, et pour tomber si bas elle a d'abord permis qu'on enferme la vérité et la justice dans un cachot, et forcément à quoi d'autre pouvait-on s'attendre par la suite ? La pyramide des vertus morales s'effondrera comme un château de cartes. Notre rapport à la vérité et à la justice sera en permanence tributaire de cette notion «machiavélique» de l'intérêt. Et de quel intérêt s'agira-t-il précisément ?
Qui allait en fixer la définition, les limites, les contours, les garde-fous ? Serait-ce un intérêt général selon l'interprétation de Rousseau qui disait que «l'intérêt général est l'intérêt du peuple dans son ensemble.
Chacun en tant que citoyen est membre du corps politique, et en obéissant à la loi, s'obéit à lui-même»(13), et partant de là, loin de considérer ce peuple comme dépourvu de raison et de maturité, on est dans l'obligation de l'associer pleinement «en qualité de membre du corps politiqu», à toute réflexion et décisions relatives à ce satané «Intérêt général», ou s'agira-t-il d'une vision et d'un management politique plus souples, plus élastiques, plus commodes, plus complaisants, tolérants, permissifs ; bref, un fourre-tout politique digne des recommandations de Machiavel : «Que le prince songe donc uniquement à conserver sa vie et son Etat ; s'il y réussit, tous les moyens qu'il aura pris seront jugés honorables et loués par tout le monde ; le vulgaire est toujours séduit par l'apparence et par l'événement ; et le vulgaire ne fait-il pas le monde»(14). Ce parfait conseiller du diable précisera à juste titre que «la soif de dominer est celle qui s'éteint la dernière dans le cœur de l'homme.»
En effet, l'esprit italien est plus retors que l'esprit français en matière de philosophie politique. Rousseau tenait particulièrement à préciser que «l'intérêt général» ne doit en aucun cas être interprété comme étant «une somme d'intérêts particuliers», même si la force positive que génère ces «intérêts particuliers» en compétition peut paraître un vecteur de prospérité économique, néanmoins cela peut tout aussi bien constituer une calamité sociale et politique, notamment si ces «intérêts particuliers» arrivent à déborder de leurs activités économiques pour créer une puissance qui échappe au contrôle de tout le monde et qui arrive même parfois à se substituer à l'Etat lui-même, neutralisant in fine chez l'Etat ce qu'il y a de plus essentiel : une puissance régulatrice et une instance moralisatrice chargées de créer de l'ordre et de la justice au sein de ce «clash» d'intérêts particuliers égoïstes et hégémoniques.
«La justice sans la force est impuissante ; la force sans la justice est tyrannique. La justice sans force est contredite, parce qu'il y a toujours des méchants. La force sans la justice est accusée. Il faut donc mettre ensemble la justice et la force, et pour cela faire que ce qui est juste soit fort ou que ce qui est fort soit juste.»(15)
Il fut un temps où le président Bouteflika, irréductible quant au choix des hommes dont L'Algérie avait besoin, rêvait en son for intérieur de ces «hommes d'Etat» dont la nation manquait cruellement, le président avait surement dû se dire un jour «I have a dream». Il fut un temps où feu Mohamed Boudiaf rêvait seulement de récolter soixante personnes honnêtes avec lesquels il comptait sauver l'Algérie d'un naufrage qui finira quand même par advenir suite aux assauts répétés de prédations et de rapines.
C'est quand même assez drôle et surprenant de voir le destin de cette nation tourner carrément à la Commedia dell'arte. Qui aurait pensé un jour que l'un des six architectes de la Révolution algérienne se retrouve, séquestré, incarcéré, exilé, condamné à mort, sauvé par l'exil, complètement effacé de la mémoire collective, et plus tard réhabilité, encensé, manipulé, crucifié, et immortalisé ? Quelle odyssée ! Le monde ne s'arrêtera pas de tourner pour autant, bien au contraire, les affaires reprennent de nouveau, le sale business institutionnel pouvait continuer tranquillement. La maffia politico-financière aura de beaux jours devant elle.
Le martyr Boudiaf ! Lui qui avait dit un jour, en 1963, «N'est-on pas en droit de se demander où va un régime capable de traiter des citoyens de la sorte et surtout : où va l'Algérie ?» Ce don quichotte berné par ses folles réminiscences et la nostalgie d'un idéal assassiné, son rêve fou d'opération «Mani Pulite» se brisera avec fracas contre cette gangrène nationale, algérienne, intime, plus vicieuse et sournoise que les plus féroces sbires de l'armée coloniale. Le pouvoir a horreur des justiciers, il ne veut que des serviteurs, des thuriféraires et des bouffons, quitte à ce que l'Etat soit envahi par du chienlit.
Les nuances se perdent, les limites s'effacent et les repères disparaissent. On verra des troubadours occuper les plus hautes fonctions de l'Etat avec un comportement quasi maffieux, on verra des cohortes de personnalités changer allègrement de nationalité comme on change de chemise, on les verra tomber en disgrâce et se faire aussitôt adouber de nouveau. Les espérances d'antan s'évaporent pour laisser place à la politique du caniveau.
«A défaut de grives, il faut se contenter de merles», c'est sûrement ce que pense aujourd'hui le président Bouteflika.
«Aucun Algérien ne peut, à lui seul, porter, à bout de bras, l'Algérie. Le fardeau est trop lourd. Il arrivera que le chef de l'Etat, qui est en même temps chef de gouvernement, ne puisse tout faire. Il se déchargera fatalement sur son entourage d'une partie de ses responsabilités. Des hommes non mandatés par le peuple, qui ne manqueront pas d'expérimenter, au détriment de l'intérêt national, les théories les plus fantaisistes. Un tel régime finira par engendrer des activités subversives, des coups d'Etat et des complots».(16)
Ce que Ferhat Abbas prophétisait finira par arriver, à défaut de créer un Etat fort qui se suffit à lui-même, émanation d'une volonté populaire (un Etat qui ne peut ni ne doit disparaître avec la disparition des hommes, selon le vœu du président Houari Boumediène). On sera amené à confier l'Etat, à le sous-traiter, à le louer à des oligarchies périphériques.
Dans un de ses discours à Sétif en 2012, le président Abdelaziz Bouteflika clamera haut et fort «Tab djnanna», insinuant par là que la gestion des affaires du pays devait désormais échoir à une nouvelle génération, conseillant par là aux anciens moudjahidine de songer à lâcher prise. La situation actuelle semble traduire le contraire. Etrange ! Cette obsession partagée par les laïcs et les zaouïas qui s'entêtent à instrumentaliser des mythes pour leurs propres intérêts. Avant de regagner les bancs de la touche et dans l'attente d'un retour d'ascenseur, Ould Abbès a déjà vu dans sa boule de cristal qui sera président en 2019. Quant aux zaouïas, elles frapperont d'anathème quiconque s'abstiendra de plébisciter un 5e mandat.
Ces marabouts de service devraient re-méditer leur corpus de référence et notamment au sujet de ces allégeances et duplicités inconditionnelles et bizarres que semblent affectionner tous ceux qui tirent profit de ces maudites conjonctures : «Mohammad n'est qu'un messager – des messagers avant lui sont passés. S'il mourait, donc, ou s'il était tué, retourneriez-vous sur vos talons ? Quiconque retourne sur ses talons ne nuira en rien à Allah ; et Allah récompensera bientôt les reconnaissants». (Sourate Al Imran-144) «Tout ce qui est sur elle [la terre] doit disparaître, [Seule] subsistera La Face [Wajh] de ton Seigneur, plein de majesté et de noblesse.» (Sourate Ar Rahman-26,27)
Nous sommes en 2019 : très peu de choses ont changé, le «culte de la personnalité et du Zaïm» toujours omniprésent. un Etat qui peine à se délester de ses troubles maniaco-dépressifs : l'aventurisme et l'autisme. Une indécrottable collusion entre la politique et les affaires. Beaucoup d'argent sale et de fortunes mal acquises. Une répartition ciblée des richesses. Une corruption qu'on essaye de colmater avec des révisions sempiternelles d'une législation toujours défaillante. Beaucoup de charognards et de lièvres qui courent dans tous les sens, une énorme battue et un amoncellement d'incertitudes.

Par Mazouzi Mohamed , Universitaire


Notes :
1- Discours du président Abdelaziz Bouteflika.
2- VictorHugo, La Conscience (La légende des siècles), 1859
3- La Proclamation du 1er Novembre 1954
4- La Plate-forme de la Soummam 1956
5- Max Weber Le Savant et le politique, 1919, Paris, Plon, Coll.10/18, 1963, p-207
6- Lettre de démission de Ferhat Abbas, en 1963
7- Mostefa Lacheraf, L'Algérie, « Nation et société, Casbah Editions, Alger 2006, P.270
8- Discours du président Houari Boumediene, Révolution Africaine n°538 du 14 au 20 Juin 1974
9- M'hamed Boukhobza, Octobre 1988 : évolution ou rupture ? éd. Bouchène, 1991, p.136
10- Mostefa Lacheraf, Les ruptures et l'Oubli. Essai d'une interprétation des idéologies tardives de régression en Algérie. Casbah Editions, Alger 2004, P.138
11- Baruch Spinoza, Traité théologico-politique (Tractatus theologicopoliticus), 1670
12- Discours du président Abdelaziz Bouteflika 1999.
13-Jean Jacques Rousseau, Le Contrat Social (1762)
14- Nicholas Machiavel, Le Prince (1532)
15- Blaise Pascal, Pensées (1670)
16- Ferhat Abbas, ibid.


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