Fabrizio Cassol est le saxophoniste compositeur du groupe belge Aka Moon. Il enseigne depuis vingt ans l'art de l'improvisation et de la synchronisation dans le jazz moderne. Il a collaboré au sein du conservatoire de Bruxelles, le collège royal de Londres et de multiples institutions à travers de nombreux pays. Avec son groupe, il a participé à la dernière édition du Dimajazz. Cette fois, il a été invité par la boîte Yam Production à encadrer un atelier de formation à Constantine qui a eu lieu la semaine dernière. En l'espace de quelques mois, vous êtes de retour à Constantine. Quel est le secret de cet intérêt ? C'est une longue histoire qui a commencé avec Aziz (Aziz Djemmam batteur de Sinouj, ndlr). On s'est rencontré au festival de Tabarka, et on s'est revu à Madras, en Inde où il m'a demandé de donner des cours à Tunis. Le projet s'est concrétisé et le workshop a eu lieu en septembre 2002 en présence de plusieurs jeunes musiciens algériens. Il y a eu un deuxième workshop toujours à Tunis, et l'année dernière j'ai été invité avec mon groupe Aka Moon à participer au festival DiMajazz de Constantine. Un passage qu'on a adoré, on a été super bien accueilli, et gratifié d'une superbe réponse du public. Aziz m'a demandé de revenir pour animer un atelier, et au lieu d'ouvrir la formation, on a préféré continuer avec un groupe qui a déjà du travail et je suis d'accord avec ça. Ici, il y a un passé et puis une réalité et ça pour moi c'est important. C'est très difficile de faire de la musique, et c'est aussi difficile de monter un groupe, de jouer et d'avoir un travail régulier. Je crois fermement que des musiciens, qui ont l'habitude de voyager partout, devraient venir ici pour donner et renforcer les énergies qui sont déjà là parce que musicalement ça vaut la peine et parce qu'il y a plein de choses qui se passent. Aka Moon sera présent au festival prochain en compagnie de David Gilmore qui est un fantastique guitariste de la tradition afro-américaine et cela fait partie de notre contribution pour renforcer ça. Moi je crois à ce festival, je crois à ces musiciens, je crois en ces gens et je crois que davantage de gens trouvent la foi en la musique, ça serait mieux pour tout le monde, c'est mon point de vue. Justement les éléments qui participent à ce stage sont les mêmes que ceux que vous avez encadrés à Tunis. Est-ce qu'il y a une continuité dans le travail ? Il y a des personnes qui étaient présentes à Tunis, mais pas ici, mais qui manifestement font d'autres choses quelque part ailleurs. Il y a une étape que je n'ai pas dite c'est que pour certains musiciens comme Laârbi (violoniste de Sinouj) et Aziz, ont été invités pour suivre des stages à Bruxelles. Ce qui est très bien parce que non seulement ils sont venus pour suivre des stages de jazz, mais aussi ils ont eu l'opportunité de donner une partie de leur savoir à des gens qui n'avaient pas idée de ce que ça pouvait être. Y a des gens qui ont reçu même des clés là-bas, donc il y a eu un échange qui est quand même important et il faut espérer que ça s'intensifie, que ça ne soit pas réservé aux premiers, mais que ça s'ouvre et que quelqu'un qui commence sa musique maintenant puisse se dire que peut-être dans cinq ans je pourrais aller suivre un stage là-bas et être confronté à d'autres réalités. Les musiciens ont bien compris qu'il est important de rencontrer le plus de musiciens possible et d'apprendre à être confronté a la différence et de ne pas avoir peur de cette différence, plus c'est différent mieux c'est. Lors du DiMajazz, vous avez déclaré « quelque part il y a une nouvelle ère qui s'ouvre en Algérie et qu'il y a encore plein de choses à découvrir et d'échanges à faire. » Mais ce qui se fait pour le moment est le fruit des initiatives privées, notamment de la part d'associations. Croyez-vous que l'implication des gouvernements algérien et belge est indispensable ? Moi si j'étais dans la politique je le ferai, mais les institutions politiques attendent souvent que les choses atteignent un certain poids pour qu'au moment où ils aident ,ça les aident aussi. Les institutions culturelles devraient aider même si ça ne les aident pas, mais le problème est que du fait qu'elles soient politisées, elles n'agissent que si elles sont sûres que ça revient et ça c'est le cas de tous les pays du monde, c'est la même chose en Colombie, à Paris et Bruxelles. Il faut lutter entre guillemets et faire avec, et il faut surtout faire preuve de persévérance. A partir de ce moment les choses ont plus de poids. A un moment donné, le Dimajazz prend du poids et devient incontournable. Maintenant il doit y avoir une énergie pour le récupérer ou une énergie pour l'aider. Il faut être stratège pour comprendre où est la liberté et où est le compte. L'important, c'est que ça continue et que ça ne s'essouffle pas. Comme je le disais, dans les années 1950 et 1960, tous les musiciens afro-américains voulaient venir jouer en Algérie, les musiciens européens aussi. Certains se sont même reconvertis à l'Islam. Et puis à un moment, il y a eu une rupture, une rupture économicosociale ou politique et tout le monde a lâché. Sur les pochettes de disques on parlait de l'Algérie comme un endroit où il faut aller pour faire de la musique. On en parlait dans tous les festivals du monde et puis à un moment, on a cessé de le faire. Maintenant si on a envie qu'on parle de l'Algérie, il faut agir. Il y a de plus en plus de musiciens algériens, et il y a une dynamique. Je vois que partout dans le Maghreb, il y a des choses qui se passent et une énergie qui vient. Quand on met une graine pour avoir un chêne, ça ne pousse pas en deux jours. C'est les mauvaises herbes qui poussent en deux jours. Mais, cette fois-ci, il faut que ça dure.Quand je vois la réaction du public, lors du festival, je comprend que les Algériens ont besoin de musique et de manifestations de cette qualité. Ça il faut bien le saisir.