Les « mesures » d'indemnisation des proches de disparus, prévues par les textes d'application de la charte pour la paix et la réconciliation nationale, censées pallier financièrement l'absence de la personne disparue, sont une source de violation des droits fondamentaux des victimes. C'est la bombe que viennent de lâcher plusieurs ONG algériennes et internationales dans un rapport adressé au comité onusien des droits économiques, sociaux et culturels, en préparation de la 44e session de ce comité qui examinera la situation algérienne les 5 et 6 mai prochain. La Fédération internationale des ligues de défense des droits de l'homme (FIDH), le Collectif des familles de disparu(e)s en Algérie (CFDA) et la Ligue algérienne de défense des droits de l'homme (LADDH) ont élaboré un rapport intitulé « La malvie : rapport sur la situation des droits économiques, sociaux et culturels en Algérie », rendu public le 4 avril dernier. Le rapport est une sorte de compilation réactualisée des différentes atteintes aux droits de l'homme dans plusieurs domaines. Mais dans le chapitre concernant l'indemnisation des familles de disparus, il révèle une grave violation des droits de ces dernières. Les enquêteurs des ONG citées commencent par rappeler que la charte pour la paix et la réconciliation nationale, adoptée par référendum en 2005, stipule que « l'ensemble des personnes victimes de la tragédie nationale et leurs ayants droit méritent la prise de mesures assurant leur dignité et leurs besoins sociaux dans le cadre d'un effort commun de solidarité nationale ». Une « hypocrisie », selon les rédacteurs du rapport soumis à l'instance onusienne. « L'indemnisation s'apparente en réalité plus à la réversion des droits des victimes (salaire, prestations sociales ou retraite) qu'à une véritable indemnisation. » La charte, selon ces ONG, donne aux membres de la famille du disparu accès aux droits à la réversion des salaires, pensions de retraite et allocations de la personne disparue. Or, ces droits sont communs à tout ayant droit d'une personne déclarée décédée à l'état civil en Algérie. Cette tactique avancée par les architectes de la charte est favorisée par l'absence d'un statut légal et bien défini de la personne disparue du fait des agents de l'Etat. Ainsi, l'indemnisation est soumise « aux retenues légales applicables aux traitements et salaires aux taux fixés par la législation en vigueur » ou « aux retenues de sécurité sociale prévues par la législation en vigueur », selon le rapport qui cite les articles19, 28 et 38 du décret n°06-93 du 28 février 2006 relatif à l'indemnisation des victimes de la tragédie nationale. Et de préciser que « le montant et la forme de l'indemnisation sont basés sur des critères discriminatoires, tels que l'âge, la profession, le statut social de la personne au moment de sa disparition ». Ainsi, les montants de l'indemnisation et les modalités de versement varient selon que la personne disparue se situe dans l'une des quatre catégories suivantes : personnel militaire et civil relevant du ministère de la Défense ; fonctionnaire ou agent public ; âgé de moins de 50 ans, avec enfants à charge et relevant du secteur économique privé, public ou sans emploi ; ou ne relevant d'aucune catégorie précédente (retraités affiliés ou non à une caisse de retraite, personne mineure au moment de la disparition, etc.). C'est en sens que les ONG recommandent aux autorités algériennes de « prévoir une indemnisation des familles de disparus juste et adéquate, calculée en fonction du préjudice subi et qui devrait provenir d'un fonds créé spécialement pour les victimes de disparition forcée » et de « garantir aux familles de disparus une réparation pleine et entière de leur préjudice incluant les droits à la vérité, à la justice et à la réhabilitation ». Le rapport met aussi l'accent sur les mesures d'intimidation pour contraindre les familles à entamer les démarches d'indemnisation, le non-versement des indemnisations ou encore le retard dans leur octroi. « Nos organisations sont vivement préoccupées par les incohérences multiples qui jalonnent le processus d'indemnisation des familles de disparus et traduisent une politique qui a été conçue sans considération et/ou sans consultation des victimes », concluent la FIDH, la LADDH et le CFDA.