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Mohamed-Lamine Hamdi. Président de l'Ordre des experts- comptables, des commissaires aux comptes et des comptables agréés : « Le projet de réforme est un danger pour notre économie »
Publié dans El Watan le 18 - 04 - 2010

Le ministère des Finances a élaboré un projet de loi portant réforme de la profession comptable. Ce texte a-t-il été confectionné en concertation avec les premiers concernés ?
Je voudrais revenir sur la position de l'administration exprimée à travers l'exposé des motifs. Un certain nombre de griefs y sont présentés. On dit que la profession est pratiquement absente et qu'il y a un monopole dans la distribution des agréments. Il est important, à mon avis, de revenir à l'histoire. Avant 1991, la profession comptable était gérée par l'administration. Depuis 2000, l'Ordre national a été installé et la profession a été gérée par les professionnels. Entre les deux dates, il n'y avait aucun effort de formation qui a été fait. Les agréments étaient attribués alors au compte-gouttes. Malgré cela, notre bilan était à la hauteur de la profession. Ce bilan a pris de l'envergure et de l'importance depuis 2005 en particulier. Il y a eu des actions de formation de façon régulière et continue. Il y a eu des agréments donnés par l'Ordre national des comptables. Je m'interroge sur l'état esprit de celui qui a rédigé ce texte portant réforme de la profession. D'ailleurs, il est complètement en décalage avec la réalité. Lorsque l'exposé des motifs est en compatibilité avec la réalité, la loi ne peut être que juste. Cependant, lorsque l'exposé des motifs est faux, la loi ne peut être que fausse. Il est important que le Parlement et les gens du droit se penchent sur cet aspect. Qu'on ne fasse pas un texte de loi sur ce qui n'est pas vrai. On est pas contre les réformes, mais que ces réformes ne soit pas contre les intérêts des concernés. Préalablement, il aurait dû y avoir une étude sérieuse, sincère et intellectuelle pour savoir sur quoi asseoir ce texte de loi. Il ne suffit pas de publier une loi. Il faut étudier son impact et ses raisons d'être. Ce projet a été fait sans aucune étude préalable. Malheureusement encore, les professionnels n'ont jamais été conviés à l'élaboration des textes. Cela est aussi regrettable. Il faut signaler que ce projet de loi arrive au moment de la mise en œuvre du nouveau système financier et comptable. J'estime qu'il y a un état d'esprit regrettable, pour ne pas dire une mauvaise intention. Nous déplorons que cela se fasse sans les professionnels.
Quelles sont les propositions de votre organisation ? Ce projet de loi, tel que présenté par le ministre des Finances, vous inspire-t-il de la crainte par rapport à l'autonomie de la profession ?
On veut mettre la profession sous tutelle. Nous n'avons pas peur d'une tutelle. Après tout, toutes les professions (avocats, médecins, etc.) sont sous tutelle de leurs administrations respectives. Mais il y a la tutelle et la gestion de la profession. La gestion de notre profession doit se faire avec la contribution administrative, mais surtout avec une liberté totale des professionnels. Mais que la profession devienne une simple structure de l'administration, c'est inadmissible. L'esprit de la loi est de rattacher la profession de comptable au Conseil national de comptabilité. Sur ce point, il y a aussi confusion. Le Conseil national de la comptabilité devra avoir pour mission d'établir les critères de normalisation. La profession, elle, devra évoluer dans l'autonomie. L'autre problème a trait à la multiplicité des structures. Il faut rester dans la mouvance générale du monde. C'est l'unité, non pas l'émiettement. Parlons simplement d'une seule dénomination, à savoir celle de l'expert-comptable. La troisième proposition consiste à mettre cette profession au service de l'économie et de travailler davantage sur le volet de la formation. Le projet n'y fait pas référence. Nous avons un petit nombre d'experts-comptables et un grand nombre de stagiaires désirant devenir experts-comptables. Par conséquent, les jeunes se trouvent sans possibilité d'encadrement. Nous avons par ailleurs environ 1,4 million d'entreprises en Algérie. C'est dire que les besoins de formation sont importants. Dans ce cas, nous proposons une solution immédiate. Comme en 1991, il faut intégrer la grande frange des commissaires aux comptes dans la catégorie des experts-comptables dans une période transitoire. Il y a d'autres propositions, entre autres celle de permettre à l'enseignant universitaire d'exercer la profession de comptable.
Dans le cas où vos propositions seraient rejetées, quelles seront les répercussions de ce texte de loi sur la profession de comptable en particulier et sur l'économie nationale en général ?
Si ces amendements ne sont pas pris en considération, notre économie encourt un très grave danger. Par expérience, nous avons remarqué une certaine lenteur de l'administration. A titre d'exemple, le nouveau système comptable a été conçu en 2004 avant d'être publié en 2007. Nous sommes à la mi-2010 et l'ensemble du dispositif n'est pas encore mis à la disposition des utilisateurs. Au niveau des entreprises, on se retrouve face à trois situations. Il y a des sociétés qui continuent à appliquer l'ancien système, d'autres qui appliquent le nouveau système comptable tout juste à moitié et certaines autres appliquent le nouveau système dans sa globalité. Cette situation constitue un grand danger. Nous avons trois types d'information comptable. Au niveau de la comptabilité nationale, nous avons une information faussée et illisible. Et lorsque l'information financière est illisible, nous ne pourrons rien envisager comme capacités d'importation et d'investissements. Au-delà, il y aura aussi des conséquences néfastes des points de vue fiscal et budgétaire. Dans ce cas de figure, l'élan même des professionnels se trouvera brisé. Celui qui crée l'information financière sera en panne puisque le nouveau système comptable est lui-même en panne. En conséquence, les initiateurs de ces deux textes vont mener notre pays vers une situation d'indisponibilité de l'information financière et d'incapacité des professionnels algériens à gérer cette l'information. On se retrouvera donc face à une situation où il faudra importer l'expertise étrangère. Il y a aussi un second grave danger. Les instances internationales ne vont pas accepter cela car il y a des normes internationales à respecter, notamment par rapport à la certification des comptes. L'information produite pas notre économie va être très mal jugée et le rôle que nous jouons sur la place internationale sera dénigré.
Y a-t-il un espoir de voir le projet de réforme amendé au niveau du Parlement ?
Le texte a été adopté en Conseil des ministres. Nous avons pu avoir une mouture par nos moyens personnels. Aucune instance, notamment les structures du ministère des Finances, n'a eu la bonne volonté de nous transmettre le texte. Ceci étant, ce texte est au niveau de l'APN. Nous avons été conviés par la commission des finances et du budget de l'APN, qui nous a entendus. Nous avons remis à cette commission un document dans lequel nous exprimons nos propositions. Nous accordons une grande confiance aux représentants du peuple pour nous accorder un droit essentiel, celui d'exister en tant que professionnels dignes de ce nom. Cette profession, telle que nous la concevons, doit défendre les intérêts de notre économie et ses professionnels. Nous souhaitons, dans cette démarche, qu'il n'y ait pas, comme on l'entend de façon régulière, de parti pris. Mais ce qui est essentiel à dire, c'est que nous avons un grand espoir que l'APN prenne conscience que ce texte est dangereux pour notre économie.


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