Selim Yezza est l'un des militants les plus en vue de la cause amazigh dans les Aurès. Dans cet entretien, il revient sur les moments décisifs du combat durant la décennie écoulée et fait un bilan des acquis et des insuffisances du mouvement. En 10 ans, T'kout est devenue synonyme de la cause berbère dans les Aurès… En effet, après une baisse de l'activisme durant les années du terrorisme, le mouvement a repris du terrain vers 1999 puis a éclaté avec les événements de Kabylie, en 2001. Le 25 mai 2001, à l'occasion des festivités de l'hommage rendu au grand militant de la cause berbère, Tahar Achoura, on a décidé, en présence des représentants de quatre wilayas, d'organiser une marche à Batna le 7 juin. Notre demande a été acceptée et on a marché, malgré des tentatives de manipulation des jeunes voyous de casser la marche. Quel enseignement tirez-vous de cette expérience décennale ? On est sorti du ghetto du folklorique et de l'identité pour passer sur le terrain social. Le mouvement commençait à toucher des points sensibles chez les autorités et menaçait les intérêts de la mafia locale. Comme vous le savez, la région est sous la coupe de la famille révolutionnaire et des nouveaux riches qui profitent du circuit politique. Notre révolte a touché ces intérêts et cassé leur monopole : on revendiquait le droit de savoir et le droit de contrôler la gestion des affaires de la communauté. Il y a des acquis parfois invisibles parce que immatériels. Par rapport à la plateforme de 2001, plusieurs points ont été arrachés, notamment l'inscription à l'état civil de prénoms berbères ou encore des projets d'équipement d'utilité publique et le rétablissement d'axes routiers, pour désenclaver T'kout, ouverts sur Khenchela et Biskra. Il y a aussi moins de hogra de la part des gendarmes et nous entretenons des rapports plus sereins, basés sur le respect, avec les élus de l'APC et les responsables de la daïra. Ce sont peut-être des miettes comparées à nos aspirations, d'autant que l'enseignement de tamazight piétine à cause de la résistance de l'administration et des esprits rétrogrades, mais ce sont quand même des acquis. La cause a-t-elle avancé, après ? Oui il y a eu des avancées palpables. Les gens utilisent de plus en plus de prénoms berbères, il y a partout des frontons de commerces en tifinagh, on communique en tamazight sans complexe, bref, on s'est imposé à Batna. C'est une évolution linguistique et identitaire. Qu'en est-il du politique ? Le pouvoir pèse toujours de son poids et les rapports de force lui sont encore favorables. De notre côté, on est entré dans de faux débats au sujet des caractères, par exemple, alors que ce n'est pas le problème des militants mais celui des spécialistes. L'absence de structures de rassemblement, l'échec du Mouvement culturel des Aurès (MCA) et les dissensions sont autant de raisons qui empêchent toute cristallisation d'une conscience politique. L'élite est tout aussi responsable de cette carence. L'absence d'un noyau dur capable de faire des réflexions et de donner des orientations est un handicap.