Il est un lieu commun de dire que notre mégalopole n'a de cesse de se rurbaniser au fil du temps. Le constat est vérifié chaque jour que Dieu fait par le quidam qui bat le pavé de la ville de Ibn Mezghenna : des monticules d'ordures au détour de chaque rue, des mares fangeuses un peu partout, des fuites d'eau ruisselant ici et là, des nids de poule et trous béants le long de la chaussée défoncée et poussiéreuse par les interminables chantiers, des excavations sans garde-fou qui vous surprennent là où vous ne vous attendez pas, des immeubles menaçant ruine, des espaces publics que rognent impunément les petits nababs du négoce de l'informel... Outre ce chapelet de nuisances et de désagréments que la cité supporte avec passivité, il y a bien entendu le phénomène avec lequel nous avons fini par composer : le vol du mobilier urbain, tels les bacs à ordures, les corbeilles de déchets, les grilles d'avaloir, la détérioration des bancs de jardins publics, etc. Mais ce que je n'arrive pas à saisir, qui me fait gerber et dresser les cheveux sur la tête, ce sont ces chapardeurs d'un autre genre. Ces prédateurs d'un autre acabit qui agissent sans bourse délier pour dépaver nos rues, à la faveur de la passivité des autorités locales. Alors que sous d'autres cieux, le revêtement de chaussée en pavés connaît un regain d'intérêt au cours des dernières décennies avec le développement des voies piétonnes dans les centres-villes, chez nous, ce type de revêtement n'a plus droit de cité. Dans la foulée, l'on se souvient des beaux carreaux jaunes et rainurés, escamotés dans les années quatre-vingts du siècle dernier, de la surface de la Place des Martyrs et le long de l'ex-Padovani, pour ne citer que ces endroits. Aussi, si le pavé n'est pas enseveli sous le macadam, n'est pas défoncé lors de gauches travaux de voirie, il est tout simplement décaissé pour tapisser, ailleurs, les allées de cossues et inconnues propriétés. Je ne pus m'empêcher, dans le même sillage, de m'interroger sur le motif ayant conduit les gestionnaires de la cité à déchausser, il y a quelques années, les caniveaux réalisés avec du pavé le long de la rue Bencheneb pour y couler du vulgaire mortier. La même opération se répète, ces derniers jours, le long des rues Ali Amar (ex-Randon) et Debbih Cherif (Soustara) où Sonelgaz est passée par là, ne jugeant guère utile d'assurer la remise en l'état des lieux. Fin de la course : le beau et noble matériau en pierre a pris la tangente. Un butin qui se résume dans des dizaines de tonnes de ces petites masses cubiques. Une manière de dire que l'opération est loin d'être pavée de bonnes intentions.