Il est un lieu commun de dire que notre mégalopole n'a de cesse de se rurbaniser au fil du temps. Le constat est vérifié chaque jour que Dieu fait par le quidam qui bat le pavé de la ville de Ibn Mezghenna : des monticules d'ordures au détour de chaque rue, des mares fangeuses un peu partout, des fuites d'eau ruisselant ici et là, des nids de poule et des trous béants le long de la chaussée défoncée et poussiéreuse par d'interminables chantiers, des excavations sans garde-fou qui vous surprennent là où vous ne les attendez pas, des immeubles menaçant ruine, des espaces publics que rognent impunément les nababs du négoce de l'informel... Outre ce chapelet de nuisances et de désagréments que la cité supporte avec passivité, il y a bien entendu le phénomène avec lequel nous avons fini à composer : le vol du mobilier urbain tels les bacs à ordures, les corbeilles, les grilles d'avaloir, etc. Mais ce que je n'arrive pas à saisir, me fait gerber et me fait dresser les cheveux sur la tête, ce sont les déprédateurs d'un autre acabit, qui agissent effrontément pour dépaver nos rues. Alors que sous d'autres cieux, les urbanistes renouent avec le pavage des chaussées dans les agglomérations, avec un zeste de décoration, chez nous ce matériau n'a plus droit de cité. Les pavés qui, autrefois, revêtaient joliment une partie des tronçons des routes au cœur de la capitale, sont en voie d'être chassés, comme d'ailleurs des beaux carreaux jaunes et rainurés qui ont disparu — on s'en souvient — de la surface de la Place des martyrs, le long du front de mer, etc. Si ce matériau n'est pas enseveli sous le macadam ou n'est pas défoncé lors des travaux de voirie, il est tout simplement décaissé pour tapisser, ailleurs, les allées de cossues et inconnues propriétés. Je m'interrogeais, dans la foulée, sur les motifs ayant conduit les gestionnaires de la cité à déchausser les caniveaux réalisés avec du pavé, le long de la rue Bencheneb, pour y couler du vulgaire mortier. Alors que je sirotais un café, tôt le matin chez Mostalah à l'ex-rue Marengo, mon regard a été capté par le bal incessant des camions qui défilaient pour récupérer l'héritage de la collectivité. Un « legs » qui se résume dans des dizaines de tonnes de ces petites masses cubiques. Bien que j'ignore si l'opération soit pavée de bonnes intentions, je veux juste assouvir ma curiosité passéiste quant au sort de ce « butin »… Oui, je continue à me triturer les méninges pour connaître la destination de ce bien d'intérêt public, qui a pris la tangente.