Censure et contrôle du travail des journalistes. L'audiovisuel public garde toujours les mêmes pratiques d'avant le mouvement populaire. Devant être diffusée lundi, l'émission politique «Question d'actu», animée sur Canal Algérie par Nazim Aziri, a été censurée. L'émission hebdomadaire, à laquelle ont été conviés une enseignante en science politique et des responsables de quotidiens publics et privés, avait abordé des sujets qui n'ont visiblement pas plu à la direction de la chaîne. Selon une source, les invités s'en sont pris aux promoteurs de la feuille de route des pouvoirs publics. «L'émission a été censurée parce qu'elle a révélé le caractère mensonger de la nécessité d'adhérer à la solution constitutionnelle. Elle a donné une autre lecture des arrestations et du rôle de l'armée. Rien n'a changé dans les pratiques de l'audiovisuel public. Il était interdit de critiquer Bouteflika, il est condamnable de critiquer Gaïd Salah. L'opinion qui révèle le caractère indécis du discours officiel est exclue», s'est indigné Nadjib Belhimer, journaliste, sur sa page Facebook, s'étonnant que des personnes continuent à participer aux émissions d'un média dirigé par un directeur (Lotfi Cheriet) connu pour sa proximité avec les Bouteflika. Malgré nos tentatives, il nous a été impossible d'avoir la version de la chaîne et de l'animateur de l'émission. La Télévision publique et la Radio nationale ont un tantinet changé ces dernières semaines : diffusion en direct des marches et programmation d'émissions spéciales sur le mouvement populaire. De nouveaux directeurs ont même pris leurs fonctions. Mais la ligne éditoriale reste étrangement la même : propagande et tentative de récupération et parfois pressions sur les journalistes frondeurs. Le présentateur du JT de 17h et du 20h sur la chaîne terrestre, Abderazzak Siah, est suspendu depuis samedi. «Membre actif du collectif des professionnels de l'audiovisuel de l'EPTV, on lui a reproché ses positions médiatisées dans le cadre du mouvement des journalistes et du mouvement populaire. Il a présenté son dernier journal le 3 mai, soit, et drôle de hasard, le jour où on célébrait la Journée internationale de la liberté d'expression… Quel cadeau pour notre collègue Abderazzak !» a alerté Abdelmadjid Benkaci, journaliste à Canal Algérie. «Trop de mensonges…» Pourquoi la persistance de ces pratiques en plein hirak citoyen ? Redouane Boudjemaa, professeur en sciences de l'information et de la communication à l'université d'Alger 3 et ancien journaliste, estime que les médias du secteur public «ont toujours fait dans la propagande». «Il y a eu une petite parenthèse sous le gouvernement Hamrouche où la télévision avait connu son printemps professionnel. Cette propagande pour le régime s'est accentuée depuis 1999. Le JT de la télévision, par exemple, s'est transformé en JT pour la personne du Président. Pour le début de cette révolution pacifique, il y a eu trop de manipulations et de diversions et beaucoup de mensonges. Les responsables de cette chaîne avaient même osé dire que les manifestants voulaient des réformes dans les trois premières semaines», estime l'enseignant. Pour lui, l'EPTV est gérée par un directeur, Lotfi Cheriet, dont la nomination est «illégale, puisqu'il est membre de l'ARAV et la loi lui interdit toute autre fonction». «Le directeur est connu dans les réseaux des pro-Bouteflika. Il a été de toutes les campagnes électorales. Je pense que cette censure (émission, ndlr) vise à faire dans l'excès de zèle pour qu'il puisse garder son poste et pour dire qu'il a été dans les réseaux Bouteflika comme tout le monde et qu'aujourd'hui il est là pour défendre le plus fort et l'ordre établi», tranche Boudjemaa. Ces dernières semaines, des journalistes s'organisent pour faire infléchir les positions de leur direction. Un syndicat autonome est en cours de création pour «mieux défendre les intérêts de l'audiovisuel public et sortir de la mainmise de l'UGTA», a signalé Benkaci, lors d'une intervention, à l'issue d'un énième sit-in à l'intérieur du siège de l'EPTV.