Claude Estier, 86 ans, l'une des grandes figures de la presse française, cofondateur du Nouvel Observateur et ancien rédacteur en chef de Libération dans les années 1960, a donné, hier au Centre culturel français d'Alger, à l'occasion de la Journée internationale de la liberté de la presse, une conférence portant sur « La presse française pendant la guerre d'Algérie ». Flash-back sur l'exercice journalistique français. Etait-il manichéen ? Certains journalistes et intellectuels français ont épousé la cause algérienne… La presse française de l'époque n'était évidemment pas unanime. Il y avait les journaux qui soutenaient la politique des gouvernements hostiles à la négociation avec le Fln, y compris après le retour du général de Gaulle au pouvoir, après 1958. Et il y avait une presse de gauche, surtout des hebdomadaires comme France Observateur, l'Express, Témoignage Chrétien et la presse communiste qui militaient pour cette négociation. Cette presse était d'ailleurs très souvent l'objet de mesures de rétorsion : censure, saisies, inculpations et arrestations, comme ce fut le cas pour Claude Bourdet. Vous avez affiché votre engagement. Vous avez même tissé des liens avec des nationalistes algériens comme Ferhat Abbas… J'ai effectivement pu rencontrer personnellement plusieurs dirigeants algériens. Dès 1949, à Constantine, Ferhat Abbas et Ahmed Boumendjel. Après 1954, j'ai pu interviewer d'autres dirigeants, par exemple Krim Belkacem, ce qui m'a d'ailleurs valu une inculpation. Depuis l'indépendance, j'ai conservé des liens avec beaucoup de responsables algériens, y compris avec le président Abdelaziz Bouteflika. Spécialiste des affaires internationales et des questions de presse, votre postulat est l'éthique… Je me suis toujours intéressé à la politique internationale. Dans les années 1980, député à l'Assemblée nationale, j'étais président de la commission des affaires étrangères, ce qui m'a permis de rencontrer de nombreuses personnalités et de suivre de près des dossiers importants. Plus tard, membre de la Commission des affaires étrangères du Sénat, j'ai poursuivi le même itinéraire. Portraitiste de Khrouchtchev, Nasser, Mitterrand, Castro, Allende, Gorbatchev ou encore Mandela, vous avez « tant vu », pour pasticher un de vos livres… J'ai donc pu tracer dans mes livres des portraits de Khrouchtchev, de Nasser que j'avais rencontré au Caire à l'occasion d'un livre sur l'Egypte, de Fidel Castro qui m'a reçu plusieurs fois à La Havane, de Salvador Allende rencontré deux fois à Santiago, de Gorbatchev à Moscou et aussi de Mandela quand il est venu à Paris après sa libération. Quant à Mitterrand, c'est différent. J'ai travaillé à ses côtés pendant de longues années et je crois, en particulier, l'avoir aidé à prendre la mesure de la nouvelle réalité algérienne d'après 1962, notamment en l'accompagnant à l'occasion de plusieurs voyages en Algérie où il était venu rencontrer les présidents Boumediène et Chadli. Qu'est-ce qui a changé dans la presse ? Un regard du doyen de la presse... Vous me demandez ce qui a changé dans la presse. Je ne peux parler que de la presse française. Elle est malheureusement devenue moins rigoureuse, plus conformiste, plus prompte à s'intéresser aux petites phrases qu'aux analyses de fond. En outre, elle n'a plus de grandes causes à défendre comme ce fut le cas, par exemple, durant la Résistance pour la presse clandestine ou, plus tard, contre les guerres coloniales. C'est d'ailleurs le sujet de mon prochain livre. Publications J'en ai tant vu. Mémoires (éditions du Cherche-Midi, 2008) Un combat centenaire : 1905-2005, histoire des socialistes français (éditions du Cherche-Midi, 2005) Dix ans qui ont changé le monde : journal 1989-2000 (éditions Bruno Leprince, 2000) De Mitterrand à Jospin : trente ans de campagnes présidentielles (éditions Stock, 1995).