Ayant tenu à prendre part à « La marche du souvenir », Azouz Begag, écrivain, sociologue et ex-ministre délégué à la promotion de l'égalité des chances sous le gouvernement Villepin, répond sans détour à El Watan. Quel message voulez-vous transmettre à travers votre participation à « La marche du souvenir » ? C'est un honneur de prendre part à une telle marche d'autant plus que ce fait a non seulement marqué l'histoire des relations entre la France et l'Algérie mais a été le début de la concrétisation de l'autodétermination algérienne. Kateb Yacine disait que pour lui, le 8 mai était le 1er jour de la cimentation du nationalisme algérien. Je trouve qu'en 2010, il est temps que la France et l'Algérie prennent conscience de la nécessité de réconcilier leurs mémoires. Il est temps de reconnaître, non pas pour s'excuser, mais au moins pour faire entrer dans les consciences que des milliers de paysans ont été massacrés en Algérie, le pays de mes parents, qui m'ont beaucoup parlé des souffrances endurées à cette époque-là. En parlant de vos parents, natifs d'Ouricia (localité située à 9 km de Sétif) que vous ont-ils dit à propos de cette tragédie ? Dans la ferme où habitaient mes parents près de Ouricia, une trentaine de corps ont été trouvés dans une cave. Je me rappelle aussi que ma mère me disait que ceux qui nous ont tués, ce sont « les Saliguène ». Et comme elle me devait une explication de ces propos sortis de nulle part, de la phonétique algérienne qui veut dire tout simplement les Sénégalais engagés dans l'armée française, j'ai appris que ces soldats qui étaient tous noirs, et qui, à l'instar des « Tabors » marocains, ont été utilisés pour les basses manœuvres, tuant ces pauvres paysans algériens qui avaient besoin de respirer le bonheur de la liberté et de l'égalité des chances. Il faut admettre, comme me le disait mon père, que la France a commis des atrocités et des meurtres par milliers. En ouvrant ce dossier, un jour mon père m'a dit que pour fuir les représailles, apeurés, les gens se terraient dans les champs et les grottes. Que pouvez-vous dire en votre qualité d'homme politique ? Je suis là en tant qu'ancien ministre français pour essayer de faire la jonction entre ces deux mémoires qui ont besoin de retrouver des points communs aujourd'hui. Ce serait cependant un moment opportun de retrouver une histoire commune pour pouvoir bâtir un avenir commun. Hors-la-loi , le dernier film de Rachid Bouchareb, qui revient sur les massacres du 8 mai, se trouve sous les feux de la rampe ? Ce film s'inscrit dans la suite du film Indigène. Il tombe à point nommé dans la continuité de cette reconnaissance de la participation des Algériens dans les guerres de libération françaises et dans la libération des mémoires. Et je salue tous ceux qui soutiennent ce combat de la mémoire contre les négationnistes, qui ne veulent pas se rendre à l'évidence que des milliers d'Algériens ont été massacrés en mai 1945. Que pouvez-vous dire en votre qualité d'écrivain devant prendre part au salon international du livre ? En tant qu'écrivain, c'est important de marquer sa présence dans un tel événement culturel. J'estime que l'écrivain est le charpentier de la couture de ces mémoires. Nous avons le rôle poétique, politique et social majeur pour essayer d'éduquer le peuple vers la conscience. J'aimerais bien savoir si tous les jeunes Algériens savent ce qui s'est passé ici, il y a 65 ans. S'ils ne le savent pas, nous avons donc l'obligation de faire prendre conscience que savoir le passé, c'est un bon argument pour pouvoir bâtir l'avenir des générations des deux rives.