Sans doute jamais manifestations de par le monde ne connurent un tel foisonnement de slogans comme c'est le cas en Algérie depuis ce jour mémorable du 22 février 2019 qui vit se déployer à travers tout le territoire national une mobilisation populaire massive, spontanée et pacifique contre le cinquième mandat de Bouteflika et son régime anti social, anti-républicain, voire anti-national. De multiples slogans aussi percutants les uns que les autres viendront ponctuer marches, rassemblements et manifestations. Expression du libre langage, de la libre parole recouvrée, après des années d'interdiction, de déni et de répression, les slogans écrits ou scandés en chœur ne cessent de fleurir au fil des jours et des événements qui agitent la vie politique du pays. Chaque vendredi, notamment pancartes, banderoles et même morceaux de carton hissés haut sur leurs hampes rivalisent de slogans d'une grande inventivité. Les manifestations ont libéré les Algériens de leurs rapports aux langues. Des moins en cette période de communion contre le régime en place. Et pour cause. Les Algériens dans leur quasi unanimité en souffrent profondément et l'expriment chacun à sa manière, importe peu l'idiome. Formulés indistinctement en arabe, tamazight ou français, parfois même dans la langue de Shakespeare, des slogans infiniment variés, expression d'une catharsis collective, accompagnent les marées humaines, qui en dehors de toute impulsion d'ordre partisan ou syndical, dénoncent, s'indignent, contestent et revendiquent à travers des slogans d'une grande diversité et d'une riche sémantique qu'elles arborent au nom du peuple souverain, comme autant d'armes redoutables contre un régime honni plus enclin à la répression qu'au dialogue. Les mots sont parfois violents contrairement à l'image pacifique que renvoie la mobilisation citoyenne. Les colères, la fureur, la violence potentielle ont été transférées dans l'interpellation verbale et les mots transcrits sur panneaux et banderoles. Les i-slogans ne sont pas en reste, loin de là. L'attractivité des réseaux sociaux a fait de la Toile un quasi espace public qui n'a rien à envier à la rue ou presque. A la différence des plateformes virtuelles, la rue demeure malgré tout le lieu privilégié où les peuples à travers l'histoire ont fait entendre leur voix. Sans doute se relaient-ils réciproquement dans ce combat où l'ampleur de la mobilisation constitue l'unique moyen de faire plier le pouvoir. Dans ce mouvement de la société et de l'histoire, chaque manifestant jeune ou moins jeune y imprime la vigueur de son élan tendu vers l'objectif d'un nouvel ordre politique où les valeurs démocratiques et leur corollaire que représente le principe de l'alternance du pouvoir en sont les fondements essentiels. Dans cette mobilisation massive à la mesure des défis et enjeux qui engagent l'avenir de la nation toute entière, chaque slogan à l'échelle individuelle ou collective s'inscrit dans une dynamique sociale en devenir où les droits inhérents à la citoyenneté sont au cœur de l'action revendicative. Comme autant de messages adressés au pouvoir, les slogans dans leurs diverses et multiples connotations donnent toute la mesure d'un mouvement de mobilisation qui, depuis plusieurs semaines, fait l'actualité à l'intérieur et à l'extérieur du pays. Au fil des événements et de leur évolution dans le temps, de nouveaux slogans viennent s'agréger au long répertoire déjà existant. La rue est devenue caisse de résonnance des aspirations profondes de toutes les franges de la société dont une panoplie de slogans forme la ligue de front entre le peuple revendicateur et l'Etat usurpateur. Devant l'ampleur et la portée historique des événements que vit le pays, une analyse approfondie des slogans dans leur double dimension politique et sociale permet d'en saisir la matrice et les ressorts qui en commandent les articulations formelles. La plateforme de slogans du 22 février 2019 ou la matrice initiale. Le slogan phare des marches imposantes à travers le pays en ce vendredi du tout début de la mobilisation populaire est «Massira silmiya» ou «Marche pacifique», un slogan-clé affiché sur la grande majorité des pancartes brandies par les manifestants. Le mouvement citoyen se proclame d'emblée pacifiste, autrement dit bannit tout esprit de violence, de sorte à dissuader les forces de sécurité de toute riposte brutale. Une arme imparable qui grandit d'autant les manifestants aux yeux des observateurs et chroniqueurs étrangers. Astucieusement, le peuple a fait non seulement valoir son droit de manifester après des années d'interdiction et de déni d'un droit fondamental inhérent aux libertés publiques consacrées par la constitution, mais il a démontré par là sont haut degré de maturité politique. L'autre slogan des toutes premières marches hebdomadaires qui va de pair avec le premier est : «Djeich chaâb, khaoua khaoua», soit littéralement : «Armée et peuple sont frères». La profondeur historique du slogan est incontestable, en ce sens qu'à l'instar de l'Armée de libération nationale (ALN) du temps de la Révolution qui faisait corps avec le peuple dont elle était issue, l'Armée nationale populaire (ANP) de la période post indépendance n'y déroge pas. Le slogan intègre un fort sentiment national auquel la haute hiérarchie militaire ne peut rester insensible. Intimement liés par l'histoire, peuple et armée sont tenus de marcher côte-à- côte dans ces moments graves qui interpellent l'ensemble des forces vives de la nation. Les slogans contre le cinquième mandat, ce mandat de trop à l'origine de toutes les colères et ruptures, sont tour à tour hostiles, cruels ou ironiques. Des slogans parfois drôles et caustiques à la fois. Une riche palette de slogans, tels que : «Non au 5 mandat de la honte», «Quatre mandats ça suffit ! Dégage», «Ô Bouteflika, la comédie est terminée, il n'y a pas de 5e mandat», «On veut un Président, pas une poupée», «Il n'y a que Chanel pour faire le n°5», «Bouteflika ! Ton crédit de vie est insuffisant pour un cinquième mandat», «Maudit soit-il qui aime ce Président», «Dernier épisode de la Casa d'El Mouradia : Indépendance II», un slogan qui paraphrase le titre d'un feuilleton télévisé. Outre les principaux slogans qui ont marqué les premières marches citoyennes à travers les grandes artères des villes du pays, une myriade de slogans, tous dans la même veine, émergent et fusent de partout dans ce face-à-face, par écrits et cris interposés, entre le pouvoir et la nation, faute de concevoir un dialogue vertueux que la culture d'Etat, sinon la raison d'Etat, n'a jamais intégré dans ses codes de bonne pratique. Une floraison de slogans hostiles au système de gouvernance, pour la plupart inspirés du principe du «dégagisme» propre aux printemps arabes, balisent les marches, à l'exemple de : «Dégagez tous», «Système dégage», «Dégagez veut dire dégager», «Brosseurs dégagez», «On n'a pas peur de vous dégager», «FLN au musée», «RND, TAJ, MPA, dégagez» et même une sorte d'anti-slogan formulé ainsi «Plus de slogans : dégagez». Dans les carrés de jeunes manifestants et parmi eux beaucoup d'étudiants, les slogans se démarquent par l'expression d'un besoin profond de vie et de liberté. Ils se déclinent avec des mots simples mais puissants, parfois empreints d'un ton épique. «L'Algérie, c'est nous. Partez tous», «Système dégage, étudiant s'engage», «Vivre c'est être libre», «Nous sommes l'espoir, vous êtes le désespoir», «Laissez-nous rêver, laissez-nous vivre», «Laissez l'Algérie aux jeunes», «Nous libérerons la liberté, et la liberté fera le reste», «Vous êtes face à une génération qui vous connaît très bien, mais que vous ne connaissez pas du tout». «Assez de la légitimité historique et de la zaouïa, place à la compétence». Nombre de slogans ne sont pas en manque d'originalité et d'imagination créative. Si un jury devait distinguer un de leurs concepteurs, il serait bien en mal de procéder à un choix entre ce slogan qui consiste en un énorme paquet de cigarette Marlboro sur lequel est écrit : «Votre système nuit gravement à notre santé», et cet autre slogan tout aussi éloquent qui se suffit du simple dessin d'un cadenas brisé pour caricaturer le déverrouillage du système, ou encore ce slogan qui se présente sous la forme d'un pot de yaourt où figure le portrait barré d'une croix rouge de l'ex-Premier ministre, Ahmed Ouyahia, sur lequel s'affiche cette apostrophe : «Le peuple n'oubliera pas tes paroles, servile de la France». Sans doute la palme du slogan le plus imaginatif reviendrait à celui-ci : «Vous nous avez enterré, mais vous ignoriez que nous sommes des graines» ou celui-ci «Notre moral est en feu, mais notre ciel est étoilé» ou encore ces deux slogans, comme les deux faces d'une même pièce : «En rupture : ventoline, plaquenil, extenciline. En stock : corruption, fraude, répression, escroquerie» et «Bulletin scolaire du pouvoir : justice 0- Santé 0- Education 0- Economie 0- Salaire 0- Absence : 7 ans. Décision finale : fin de pouvoir !» Avec de tels slogans, le peuple algérien a donné à découvrir au monde entier sa capacité à exprimer d'une manière subtile les maux dont il souffre, du fait d'un système politique scélérat, objet de tous ses ressentiments. Des slogans presque physiques où les mots font corps avec les paroles déclamées. Ils ont fait la jonction entre l'ensemble des manifestants à travers le territoire national. Ils ont brisé l'enferment social, fait tomber le mur de la peur, pulvérisé la chape de l'autoritarisme. Des slogans au plus près de l'actualité Au sixième vendredi de la mobilisation populaire, soit le 1er avril, les mots d'ordre évoluent de manière significative. Entre-temps le président Bouteflika a été forcé à la démission, suite à quoi le chef d'état-major de l'armée a décidé d'appliquer l'article 102 de la Constitution qui confère l'intérim au président du Sénat, alors que le peuple exige une rupture totale avec les symboles du régime. Sans changer du tout au tout, les slogans montent en puissance au regard de l'actualité, mais le caractère pacifique du mouvement qui fait son identité demeure tel quel. Le slogan en vogue «Massira silmiya» ou «Marche pacifique» s'affiche toujours dans les rangs des manifestants. A ce stade de la contestation, la bataille se situe entre le chef d'état-major de l'armée qui s'en tient strictement à l'article 102 de la Constitution et les manifestants qui réclament dans le cadre de la transition démocratique le respect absolu de la volonté souveraine du peuple par référence aux articles 7 et 8. L'affrontement par dispositions constitutionnelles interposées prend parfois une tournure ironique dans les nouveaux slogans qui font leur apparition sur pancartes et banderoles. Ainsi, ce slogan détonnant comme il se doit est libellé comme suit : «Après l'application de l'article sans deux (portraits de Bouteflika et son frère Saïd de l'appui), on demandera l'application de l'article sans eux (portraits de Ouyahia, Haddad, Bedoui, Bensalah et Belaïz), un slogan d'une inventivité, d'un réalisme et d'un humour décapants. Ou celui-ci tout aussi recherché : «Constitution porte plainte contre le système pour viols répétitifs et harcèlement textuel». Et ces autres slogans plus ramassés, mais qui ne doivent rien au précédent : «Le 102 n'est plus en service», «Nous demandons l'application de l'article 2019, vous partez tous», «Non à l'article 102, non au gilet de sauvetage», «Non à l'application de l'article 102. Non au pouvoir mafieux», «L'article 102, c'est avorter la volonté du peuple», «Ni 102, ni 104, le pouvoir est le 7», «Pas de crédit à l'article 102», «Le 102 ne répond plus, essayez avec le 7», «L'addition des articles 102 et 7= sang neuf», «L'article 102 est la moitié de la solution, ajouter le départ du clan mafieux»… Les slogans de l'après-ère Bouteflika se distinguent par des messages politiques incisifs et bien ciblés. Leur radicalité est à la mesure des stratagèmes et tergiversations du pouvoir pour se maintenir sous un nouveau visage. Le jeu du système est dénoncé et ses tenants tournés en dérision. Entre hostilité et dédain ironique, ces quelques slogans illustrent éloquemment l'état d'esprit des manifestants : «Ni Bensalah, ni Gaïd Salah, on veut un raïs saleh» (on veut un Président fiable), «Bensalah dégage, la souveraineté au peuple», «Ni Gaïd, ni Toufik, ni alternance clanique», «Dégagez, Oujda vous attend», «On ne veut ni du système, ni de Saïd», «Bensalah, Belaïz, Bedoui, dégagez», «Non aux 3B», «Bouteflika, tu pars, prends avec toi Gaïd Salah, attention d'oublier Belaïz et Bensalah». Les slogans fleurissent à foison. Le peuple n'est pas en manque d'inspiration tant le champ de la malfaisance est immense. Chaque slogan qui investit l'espace public est déjà une victoire en soi. Nombreux et multiples, ils sont la frontière entre deux camps opposés aux intérêts antagoniques. En citer dix ou bien cent, ils participent tous d'un même dessein, ils recèlent tous et chacun la force d'âme d'une nation trahie par les siens. Ils sont un espace de liberté reconquise. Ils sont l'émanation du peuple en sa pleine et entière souveraineté. Des slogans à profusion d'une force expressive indiscutable, corrosifs, en jeu de mots, en mots à double sens. Ces quelques exemples suffisent pour s'en convaincre : «Peuple formidable, pouvoir minable», «Peuple sage, pouvoir voyou», «Gouvernement terroriste», «Pouvoir corrompu, peuple digne», «Pacifique, pacifique, nouvelle République», «Le peuple veut une transition démocratique», «La main étrangère c'est vous et votre système», «La peur a changé de camp», «Pas de tutelle sur la volonté du peuple», «Le peuple ne veut pas d'une comédie égyptienne», «Non à l'alternance des clans», «Le monde n'a jamais manqué de charlatans», «Pour une Algérie libre et démocratique» (un slogans des années 90), «Non au recyclage du système», «Le peuple est la source de tout pouvoir», «Le peuple ne veut pas d'une transition militaire», «Non au recyclage de la mafia», «Y'en a marre de ce pouvoir», «Vous avez ruiné le pays, bande de voleurs», «Plus jamais d'ordures, ni dans la rue ni au pouvoir», «Nous marcherons jusqu'au départ des symboles du pouvoir», «Transition démocratique pour la IIe République». Tous ces slogans dont l'énumération n'est pas exhaustive témoignent d'une colère légitime du peuple qui rejette les demi-solutions, les camouflages d'intention et les simulacres. Des slogans commémoratifs vecteurs d'une convergence des luttes Le 9e vendredi de la mobilisation populaire a été principalement dédié aux événements du printemps berbère de 1980 et au printemps noir de 2001. Aux slogans habituels qui constituent le noyau dur de la contestation et d'autres en perpétuelle mutation, viennent s'adjoindre des slogans de circonstance en souvenir des événements tragiques survenus en Kabylie par la faute d'un Etat sectaire et dogmatique. Les manifestants appellent au respect du multiculturalisme de la nation algérienne et de son identité historique, l'algérianité. Le slogan «Ulach Smah Ulach» (Pas de pardon) dit bien les choses. L'expression tirée du langage du terroir est compréhensible par tous les Algériens, ce qui lui confère une charge émotionnelle toute particulière. Ce même slogan se retrouve indistinctement sur l'emblème national et le drapeau amazigh, deux symboles de l'unité de la nation. «Ulach smah ulach» s'inscrit dans la continuité du combat des martyrs du printemps noir, mais pas seulement. Il s'applique à l'échelle de l'Algérie entière. Dans l'espace et dans le temps, les victimes du pouvoir sont innombrables. Emeutes d'Octobre 1988, années tragiques de la décennie noire, printemps 2001. La justice devra bien passer un jour. Dans la forêt d'écriteaux en ces jours de commémoration, d'autres slogans rassembleurs ont la vedette, comme : «Vive Imazighène» avec le portrait de Matoub Lounès en arrière-fond, «Non au racisme et au régionalisme», «Système criminel», «Pour une république plurielle et tolérante», «L'unité nationale est une ligne rouge», «Ni royaume ni fédération, mais une république novembriste». Les écriteaux où s'affiche un «Hommage aux 128 morts du printemps noir» avec la formule rituelle «Ulach smah ulach». Les diverses variations autour de la promotion de la langue tamazigh ne se comptent plus dans les rangs et carrés de manifestants. Par sa nature même et sa portée, le mouvement citoyen pour la transition démocratique intègre dans son champ de références toutes les luttes revendicatrices de libertés qu'elles soient d'ordre politique, social ou culturel. Les dizaines et dizaines de slogans y afférents, visibles et/ou audibles lors des manifestations, en sont le parfait témoignage. Des slogans démultipliés, dédiés à chacun des maux du système Depuis le 22 février, d'un vendredi l'autre, d'une marche l'autre, les slogans, en dehors des invariants qui structurent désormais le mouvement citoyen, se renouvellent selon une dynamique dialectique entre le corps social et les tenants du pouvoir. Les vendredis se suivent mais ne se ressemblent pas. Entre concessions et résistances du pouvoir, les slogans se démultiplient dans la communauté des revendications. Ils sont de plus en plus ciblés. Semaine après semaine, des slogans répondent aux décisions ou à l'inaction du chef d'état-major de l'armée. Au 12e vendredi de la mobilisation populaire, les prémisses d'une transition démocratique restent invisibles, malgré le durcissement des slogans et la ténacité des manifestants. La réouverture d'anciens dossiers de la corruption, l'emprisonnement de quelques oligarques, les limogeages en série de hauts responsables et de PDG d'entreprises, la convocation de l'ex-Premier ministre, Ahmed Ouyahia, devant le juge pour dilapidation de deniers publics, la mise en détention préventive de Saïd Bouteflika et une partie de sa bande, entre autres les ex-généraux chargés du renseignement ; tous ces rebondissements ne sauraient être assimilés à une décapitation en règle du régime en place. Seul le changement radical du système de gouvernance serait au diapason des aspirations du peuple. Si le chef d'état-major de l'armée joue la carte de l'essoufflement de la mobilisation populaire, il lui faut se raviser et se faire une raison. Chaque vendredi est un nouveau souffle de la mobilisation, un incubateur de nouveaux slogans à la mesure de cet entêtement. Des slogans dédiés à chacun des maux du système avec en prime le mot d'ordre «Resistance», particulièrement en ce premier vendredi du mois sacré de Ramadhan. Des centaines de slogans s'affichent au regard, s'invitent à l'ouïe. Ils n'ont rien perdu ni de leur force expressive, ni de leur côté mordant ou moqueur. «Système à la trappe», «La transition se fera selon le choix du peuple», «No to military rule, non au pouvoir militaire», «Son excellence le peuple veut un Etat civil, une Algérie démocratique et républicaine», une manière de paraphraser «Son Excellence le président Bouteflika» ressassé à l'infini par la télévision d'Etat, «Départ immédiat et inconditionnel du pouvoir, de tout le système», «Seule la lutte paye», «Période de transition par le peuple, ni élection ni constitution», «Si cette fois on baisse la tête… Coupez-nous la tête», «Le peuple a vomi vos mensonges», «L'Algérie est plus grande que vous», «Vous êtes méchants et nous sommes entêtés», «On ne lâchera rien», «Système dégage de A à Z», «On vous fait sortir par la porte pas pour revenir par la fenêtre», «Peuple connecté, système déconnecté», «Vous voulez nous réduire en silence, vous n'aurez que notre résistance», «Nul ne peut arrêter un peuple sur son chemin de son destin». Les slogans empreints d'humour ne font jamais défaut, à l'exemple de ceux-ci : «Le cadre est parti, mais les punaises sont toujours là» et «Nous avons enlevé le cadre, nous ne voulons pas de ses adorateurs». Quelque peu épargné par les manifestants, le chef d'état-major est à son tour l'objet de slogans acerbes devant son attitude négative vis-à-vis des revendications populaires. Il en prend pour son grade, dirait-on. «Gaïd Salah dégage !», «Gaïd Salah ! tu as trahi le peuple», «On arrête ceux qui complotent contre Gaïd Salah et on laisse ceux qui complotent contre le peuple», «Sorry Gaïd Salah, le peuple n'est pas dupe de tes pièges constitutionnels», «Gaïd Salah, le système partira tôt ou tard», «Gaïd Salah président de l'Etat, Bensalah personnel assimilé», «Le chef d'état-major n'est pas l'armée», «No to military rule, non au pouvoir militaire», «Ȏ Gaïd Salah, la Constitution n'est pas un menu à la carte», «Il y a un seul Gaïd, le peuple», «L'Algérie n'est pas une caserne», «L'armée est à nous et les généraux sont à vous», «Ni casquette ni bedaine, juste une simple République», «Ni oligarques, ni militaires, ni islamistes, une seule légitimité, le peuple» ou encore ce slogan qui prêterait à rire s'il ne renvoyait à une triste réalité : sous la légende «Nettoyage général» est représentée une poubelle d'où dépassent les visages de Bensalah, Gaïd Salah, Bedoui et Ouyahia, avec cette mention «Non recyclable». Et la belle trouvaille que ce slogan qui n'hésite pas à associer le nom du chef d'état-major de l'armée à celui du président-dictateur égyptien Abdelfateh Al Sissi : «Gaïd Sissi, on dit nouvelle République, pas nouvelle dictature» ou encore cette déclinaison : «Gaïd Salah, l'Algérie est insississable». Plusieurs slogans sont dédiés à la dilapidation des deniers publics et à la réhabilitation du pouvoir judiciaire, comme le montrent ces quelques exemples : «Non à la corruption, oui à la reddition des comptes», «Est venu le temps de rendre des comptes, la cellule est bonne et la soupe délicieuse», «Vous rendrez tous des comptes», «Non à la justice sélective», «On vous laisse l'argent volé, rendez-nous l'Algérie», «Police partout, justice nulle part», «Mais où est donc Ouyahia, or Saïd n'en parlons pas», (le slogan s'amuse à combiner les conjonctions de coordination), «Non aux gangs», «On refuse la justice du téléphone», «Suffit la gouvernance de la bande», «Armée et peuple contre la bande», «Rendez la justice au peuple», ou ce slogan dont la drôlerie n'a d'égale que le côté infâme des personnages : «Le peuple veut que justice soit faite» avec en illustration Saïd Bouteflika, les généraux Toufik et Tartag debout devant des nœuds coulants, tous vêtus d'une tenue de bagnard à rayures jaunes et noires, à la façon des frères Dalton dans un numéro de la bande dessinée Lucky Luck. Certains slogans marquent clairement la ligne rouge que se fixe le peuple dans son action revendicatrice. Le rejet de toute ingérence étrangère s'affiche sans ambages sur des écriteaux, tel que : «Ni Washington ni Paris, tout doit se passer ici», «Les Emirats, pays des complots» ou bien ce slogan qui à lui seul résume tout «Seul le peuple décide de son avenir, ni l'armée, ni les services secrets, ni l'Etat profond ni l'argent sale, ni l'étranger». Jamais mouvement de contestation d'un quelconque pouvoir, printemps arabes y compris, n'a produit un tel déchaînement de slogans, une telle virulence de mots, un tel déferlement de revendications et de dénonciations. Une masse de slogans à la hauteur d'un dépit, d'une colère contenus des années et des années durant. Sans doute y a-t-il là de la matière pour les politologues, sociologues, linguistes, psychologues, artistes ou écrivains. Si un slogan ne remplace ni une stratégie ni un programme politique, il n'en reste pas moins que l'une et l'autre ont besoin de slogans, et des bons. L'absence de signes positifs du pouvoir en vue d'une transition politique, la mobilisation populaire est appelée à se poursuivre, tandis que d'autres slogans viendront en renfort encore et encore. Si les Portugais ont eu leur «Révolution des œillets», les Algériens eux, sont en train de réaliser «la révolution des slogans», même si l'histoire n'est pas encore écrite.