Au fil des semaines du hirak algérien, il est rapidement devenu la coqueluche des manifestants oranais. Il s'appelle Amari Ayoub et a une trentaine d'années. Surnommé «l'homme aux drapeaux» du fait des nombreux oriflammes aux couleurs nationales à la taille démesurée, hissés sur de longues hampes accrochées à son sac à dos, qu'il porte en étendard à chaque manifestation, Ayoub est un militant acharné de l'Algérie de demain. Portrait. Natif de Tiaret, Amari Ayoub travaille en qualité de vacataire à l'université de l'IGMO. Il n'a raté aucune marche depuis le 22 février dernier. Cela dit, il se défend d'appartenir à un parti politique ni à un syndicat, et affirme qu'il n'a aucune ambition politique post-hirak. Il se veut un électron libre, un outsider, qui compte reprendre sereinement sa vie de professeur de philosophie dans l'Algérie de demain. «Avant le 22 février, j'étais complètement apolitique», nous explique-t-il. «Je n'ai jamais fait de la politique de toute ma vie. J'ai toujours été une victime de ce pouvoir. Sous un régime dictatorial, tu ne peux pas exercer la politique. J'ai trente ans, qui se résument à dix années de terrorisme et 20 années de bouteflikisme.» Cela ne l'empêche pas, muni d'un doctorat en philosophie, de connaître plus ou moins le B.A.BA de la chose politique, et d'avoir une idée certaine sur combien ce pouvoir nous a menés en bateau pendant deux longues décennies. «Suite à l'annonce de la candidature de Bouteflika pour un 5e mandat, j'attendais avec intérêt le 22 février, car on en parlait beaucoup sur les réseaux sociaux.» Il nous explique avoir d'abord tergiversé avant de participer pleinement à cette première marche, échaudé qu'il était par les manifs ratées de janvier 2011 où nombre de jeunes, suite à la hausse des prix de l'huile et du sucre, ont engagé des batailles urbaines avec des policiers qui s'apparentaient à des émeutes violentes. Fort heureusement, les manifestations du 22 février se sont déroulées sans heurts, de manière impeccable. «Ce jour-là, les gens étaient armés de la culture de la non-violence, de ce fait, j'ai pris la décision de participer à toutes les marches qui allaient suivre, à commencer par celle qui a eu lieu le mardi suivant avec les étudiants.» Original Au cas où cela aurait échappé, rappelons que Ayoub Amari est celui qui avait brandi, lors d'une marche estudiantine en mars dernier, une pancarte établissant les 12 commandements de l'Algérie de demain, qui avait aussitôt fait le buzz sur les réseaux sociaux : «1-Non à Bouteflika et à ses dérivés ; 2-Non à la mafia politico-financière et à la corruption ; 3-Non au gaz de schiste ; 4-Non à l'ingérence du religieux dans la politique ; 5-Non au harcèlement ; 6-Non à l'indifférence ;7-Oui pour une Algérie moderne et unie dans sa diversité ; 8-Oui pour un gouvernement de consensus représentatif des compétences ; 9-Oui aux réformes politiques et socio-économiques ; 10-Oui à l'éducation de qualité pour toutes et pour tous ; 11-Oui pour une société multiculturelle, multilingue et tolérante ; 12-Oui à la vie, oui à l'amour et oui au bonheur de vivre ensemble». Ayoub Amari est serein quant à lui suite des événements et se dit réconforté par l'attitude irréprochable des manifestants qui contournent à chaque fois les pièges et les coups bas tendus par le pouvoir et ses sbires. «Que de fois a-t-on tenté de nous diviser, mais sans y parvenir», se targue-t-il. Cet universitaire est aussi un mordu de lecture. Il nous raconte d'ailleurs une anecdote de son séjour parisien, quand son université l'y a envoyé pour effectuer un stage à Paris 8. Au dernier jour, il était face à un dilemme : ou bien acheter les livres de Spinoza, ou alors se payer une nuit d'hôtel. Le choix a été vite fait : il acheta les bouquins et passa la nuit à la belle étoile, au bord de la Seine, près de la cathédrale Notre-Dame ! Ce qui lui a valu, à l'époque, le surnom de Jean Valjean. En plus de Spinoza, il est aussi un lecteur assidu de Sartre, Jean-Jacques Rousseau, Hegel, Kant et Marx. A la question de savoir ce que représente pour lui le 5 juillet 1962, bien sûr, comme tout Algérien digne de ce nom, cette date marque pour lui toute une symbolique. Espoir Mais il pense aussi à l'Algérie de demain, débarrassée de ses tourments et de son clan de maffieux : «Je veux vivre dans une Algérie libre et démocratique, dans un Etat de droit, l'Algérie du savoir, où le mérite paye. Une Algérie moderne, nouvelle, cosmopolite et tolérante, où le racisme sera banni, et où, toujours, prévaudra la culture de la non-violence. Pour paraphraser Martin Luther King, je fais le rêve d'une Algérie plurielle, avec une économie diversifiée, en rupture avec la corruption politique et en rupture avec le populisme. Je souhaite que l'élite du pays quitte sa tour d'ivoire et abandonne cet esprit de supériorité qui, pense-t-elle, la distingue du reste des Algériens. Il faut que tout le monde soit accepté, aussi bien les laïcs que les islamistes, qu'il n'y ait pas d'exclusion !»