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Sebastien Ledoux : « Il existe en France de nouveaux conflits de mémoire »
Publié dans El Watan le 24 - 05 - 2010

Comment avez-vous choisi le thème de ce colloque 2010 ? Pourquoi, alors qu'on célèbre les 50 ans de la décolonisation de l'Afrique noire, et bientôt le 50e de l'indépendance algérienne, ce sujet garde-t-il sa pertinence pour les chercheurs ?
Il nous a semblé nécessaire de travailler la question post-coloniale en France par le biais des traces mémorielles. En 2005, la loi du 23 février reconnaissant à la colonisation française un rôle positif en Afrique du Nord, puis les émeutes urbaines de novembre, ont mis sur le devant de la scène cette question, sans forcément y intégrer les théories post-coloniales issues du monde scientifique anglo-saxon. Nous souhaitons donc confronter ces théories avec la réalité d'une société française en profonde mutation. Or, ces mutations se sont cristallisées depuis plusieurs années sur les mémoires post-coloniales devenues des enjeux politiques majeurs. Au-delà d'une actualité souvent « brûlante » et par définition instantanée, les théories post-coloniales et les travaux de recherche sur la mémoire peuvent nous aider à penser, et donc à comprendre, ce qui se joue sur la scène nationale.
Parmi les interventions annoncées le premier jour, on parle de « race, culture raciale et culture coloniale ». Est-ce à dire que ces vieux démons ont la vie dure ?
La République française s'est en grande partie construite dans son discours sur l'évacuation des questions « raciales » pour édifier une identité exclusivement citoyenne. L'irruption de ces questions, favorisée par le délitement de l'imaginaire national traditionnel français depuis une quarantaine d'années, est un regard plus abrupt, mais moins hypocrite, sur les dynamiques d'exclusion sociale et politique qui touchent les populations issues de l'immigration aujourd'hui. La recherche scientifique doit s'emparer de ces questions qui taraudent notre société tout en évitant de réduire chaque individu à une identité exclusive de type racial, religieux, etc. C'est tout l'intérêt des théoriciens du post-colonial qui insistent sur les notions de circulations et de créations identitaires en mouvement dans notre monde de plus en plus globalisé.
Dans le contexte où les luttes mémorielles ne cessent d'occuper le devant de la scène publique, votre contribution portera sur le « devoir de mémoire, expression du post-colonial ? ». Quelle sera désormais la place pour les « mémoires post-coloniales », dont on a vu encore récemment qu'elles sont vilipendées, avec la polémique autour du film Hors-la-loi, de Bouchareb, projeté à Cannes.
Soulignons d'abord que le fait que ces mémoires post-coloniales soient justement sur le devant de la scène est tout à fait nouveau en France. Les conflits des mémoires coloniales ont été pendant longtemps cantonnés entre les anciens combattants de l'armée française en Algérie et les rapatriés, à propos, en particulier, du choix d'une journée de commémoration pour la guerre d'Algérie. Des groupes sociaux, issus de l'immigration post-coloniale, ont revendiqué à partir des années 1990 leur droit de cité à travers un devoir de mémoire. Ils ont été en cela relayés par des politiques, comme la députée Christiane Taubira, qui a fait voter une loi en 2001 reconnaissant l'esclavage comme crime contre l'humanité, par des artistes comme Rachid Bouchareb, ou par des scientifiques engagés.
Ces mémoires s'octroient en fait progressivement une place au sein de la société française, ce qui crée, par contre, effectivement en retour des réactions fortes de la part de groupes de mémoires antagonistes, comme celui des rapatriés d'Algérie défendus en particulier par des élus de droite, ou de la part des défenseurs d'une « identité nationale » qui serait menacée par ces nouvelles mémoires. Il existe donc en France des nouveaux conflits de mémoire, autour de la mémoire coloniale essentiellement, mais cette conflictualité sociopolitique démontre aussi par de nombreux aspects l'existence désormais publique des mémoires post-coloniales. Ce colloque est là pour rendre compte à la fois des enjeux des conflits, mais aussi des expressions multiformes de ces mémoires.


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