Face à la détermination populaire, le pouvoir répond par la répression policière et judiciaire qui va crescendo depuis quelques jours, vu le nombre de plus en plus important de personnes arrêtées lors des marches, mais aussi le durcissement des chefs d'inculpation retenus contre elles. Hier, le militant politique Samir Belarbi a été placé sous mandat de dépôt pour «atteinte à l'intégrité territoriale et à l'intérêt national», les mêmes griefs pour lesquels 24 citoyens ont été arrêtés vendredi dernier et mis en détention à Alger. Les arrestations et les incarcérations ciblant les manifestants et les militants politiques se multiplient, créant un climat d'inquiétude et de peur. Dimanche dernier, 24 citoyens arrêtés durant la marche du 30e vendredi ont été inculpés et placés sous mandat de dépôt pour de lourds chefs d'inculpation : «atteinte à l'intégrité du territoire» et «diffusion ou détention de publication portant atteinte à l'intérêt national». Tous étaient loin de penser qu'ils allaient rejoindre les geôles d'El Harrach, à Alger, jusqu'à ce que les premières décisions d'incarcération commencent à tomber. Leurs cris : «Dawla madaniya machi askariya» (Etat civil et non militaire) ont, selon leurs avocats, fortement résonné au tribunal de Sidi M'hamed, mais sans pour autant influer sur la décision de les priver de leur liberté pour avoir marché en ce 30e vendredi de contestation. Hier, c'était le tour de Samir Belarbi, militant politique très actif, de comparaître devant la même juridiction et pour les mêmes chefs d'inculpation. Il avait été embarqué par des agents en civil alors qu'il se trouvait dans son quartier à Bouzaréah, puis conduit vers une destination inconnue. Pour Me Mustapha Bouchachi, Samir Larbi est poursuivi pour «ses positions politiques qu'il a toujours exprimées. C'est l'une des figures emblématiques du hirak. Sa mise en détention n'obéit à aucune logique. Il a le moral et a clairement expliqué au juge qu'il n'a fait rien d'illégal». L'avocat s'est dit «très inquiet» par la «froideur» des magistrats devant ces nombreux jeunes pris au hasard par les services de sécurité lors des marches. «J'ai été très touché par ce jeune homme de 25 ans qui ne s'attendait pas à une incarcération. Lorsqu'il a compris qu'il allait en prison, il a dit au juge : j'ai un cancer. Mon rendez-vous de chimiothérapie est pour le 23 septembre. Le magistrat lui a dit : ‘‘Allah yechfik'' (que Dieu te guérisse). Ces jeunes n'ont rien fait d'illégal. Ils marchent comme les millions d'Algériens qui sortent chaque vendredi à travers le pays. Je n'arrive pas à comprendre la logique de ce pouvoir. D'un côté, il veut convaincre les Algériens de la tenue des élections et en même temps, il prend des décisions qui suscitent la colère», souligne Me Bouchachi. Tout comme lui, de nombreux avocats expriment leurs craintes. Faisant partie du collectif d'avocats qui ont boycotté, dimanche, la première comparution des 24 manifestants en signe de protestation contre leur mise sous mandat de dépôt, Me Abdelghani Badi s'est déclaré «stupéfait» face à l'évolution de la situation, particulièrement à Alger, où les procédures de poursuite diffèrent de celles engagées ailleurs. «C'est dans la capitale que les arrestations sont les plus nombreuses. A la prison d'El Harrach, il y a plus d'une centaine de détenus liés au hirak. Au début, les inculpations concernaient le port de l'emblème amazigh. Il est reproché aux mis en cause d'avoir porté ‘‘atteinte à l'intégrité territoire national'' alors qu'il n'est écrit nulle part dans le code pénal que le fait de porter un autre drapeau que l'emblème national était illégal…. Dans d'autres wilayas, quelques manifestants arrêtés avec le drapeau amazigh ont été soit relaxés soit punis d'une peine de prison avec sursis. Dimanche dernier, les 24 manifestants arrêtés lors de la marche du vendredi ont été inculpés pour ‘‘atteinte à l'intégrité du territoire'' et ‘‘diffusion de documents portant atteinte à l'intérêt national''. Pourtant, dans la rue il y avait des milliers de manifestants», note Me Badi. Il trouve «inexplicable» cette «différence» dans le traitement de ces affaires. «Il n'y a qu'à Alger où l'instruction est privilégiée. A Batna, le parquet a recouru à la citation directe, tout comme à Chlef et à Jijel, où les manifestants poursuivis ont été condamnés à des peines avec sursis. A Mostaganem et Annaba, c'est la comparution immédiate qui s'est terminée par la relaxe au profit des mis en cause. Alger est devenue l'exception, du point de vue du nombre des manifestants arrêtés, mais aussi des inculpations et de la détention. Des manifestants ont été placés sous mandat de dépôt pour ‘‘attroupement'' ou pour ‘‘incitation à l'attroupement'' alors que chaque vendredi des marées humaines se déversent dans les rues de la capitale. Il y a là une volonté manifeste d'instaurer un climat de peur au sein du mouvement de protestation, surtout à Alger. Cela ne fera qu'accentuer la mobilisation», révèle l'avocat. Pour lui, cette situation de «terreur» doit interpeller «les hommes de loi mais aussi toute la classe politique et la société civile». L'avocat se dit «inquiet» des dernières arrestations ayant ciblé, hier, les étudiants lors de leur marche du mardi ainsi que les citoyens qui se sont joints à eux par solidarité. «Je sais que beaucoup de manifestants ont été interpellés durant la marche et risquent de comparaître (aujourd'hui) devant le tribunal. Ils risquent de connaître le même sort que ceux qui les ont précédés», nous dit-il amèrement. Visiblement, à défaut d'être capables de créer un climat d'apaisement qui rassure les citoyens, les tenants du pouvoir usent de moyens répressifs pour instaurer un climat de terreur à même de casser la dynamique du mouvement de protestation populaire, de diviser la rue ou de susciter la suspicion dans ses rangs. Mais la mobilisation de milliers d'étudiants sortis hier dans les rues de plusieurs wilayas du pays, notamment à Alger, démontre plus que jamais la forte détermination de la majorité des citoyens à aller vers une nouvelle Algérie.