Depuis plus de huit mois, le mouvement populaire continue à déverser dans la rue, chaque semaine (sans avoir cassé une seule vitre), ses processions humaines emplies de l'espoir de fonder une Algérie nouvelle. A l'allure où vont les choses, les manifestants sont en passe de battre le record mondial de la persistance dans le temps de la dynamique de revendication : une population fortement décidée à faire aboutir son idéal. En face, le pouvoir autoproclamé reste sourd à leurs clameurs. Les tours de vis sont exponentiels aux discours, tantôt menaçants tantôt conciliants du chef de l'armée. Mais toujours persistant dans la détermination à faire aboutir le scénario qu'il s'est écrit et à vouloir appliquer de façon énergique et martiale. Depuis le 22 février, le hirak, dans sa dimension saine, pacifique, humaine, chaleureuse et portant les germes du renouveau national, a été vilipendé, discrédité et voué aux gémonies par les cerbères actifs ou médiatiques d'un système, que la majorité des Algériens ont depuis longtemps en aversion. Ainsi, au fil des semaines, les marches de protestation ne désemplissent pas, rythmées périodiquement en semaine par les répliques orales de l'autorité militaire qui sont autant de menaces à peine voilées. Les manifestants ne veulent pas de l'élection présidentielle qui est, soutiennent-ils, une continuité du système avec la même clientèle politique. Mais ils ne savent pas dans le même temps comment les en empêcher. En face, le pouvoir tient absolument, au-delà du 12 décembre prochain, à voir un président de la République s'installer à El Mouradia comme gage d'une «stabilité» retrouvée et toute autre solution «ouvrirait grande les portes à l'aventurisme»… Dans ses nombreuses harangues en direction de l'opinion publique, le chef d'état-major de l'ANP a souvent manié l'arme de la contrainte envers ceux qui veulent «entraver cette fête électorale prometteuse». Il a menacé ouvertement ce long fleuve tranquille et pacifique de ne pas caresser l'idée de faire obstruction à sa feuille de route. Il a même ordonné d'opérer un passage en force le 12 décembre prochain en imposant un maillage sévère de tout le pays par les services de sécurité, y compris des détachements de l'armée. Face à ces philippiques très (trop) souvent réitérées, le grand peuple du vendredi (par le nombre et par la bravoure) reste sur sa constante protestataire pacifique née au mois de février. Mais il ressent aujourd'hui la date butoir liée à la présidentielle comme un défi. D'aucuns parmi les Algériens ne se sentent pas rassurés sur les péripéties qui vont suivre. Et ils sont nombreux à se poser des questions sur l'avenir immédiat de ce mouvement populaire. Certains observateurs estiment que celui-ci avait, certes, le nombre mais ne jouissait pas d'une direction politique ou autres structures représentatives viables pour asseoir une feuille de route et s'imposer comme seul interlocuteur valable du pouvoir réel. Se délitera-t-il au moment où le pouvoir en place décidera de durcir sa position sur le terrain et ou carrément interdire les marches populaires au lancement de la campagne électorale ? A mesure que l'armature du scrutin du 12 décembre se met progressivement en place, une ambiance lourde étreint le pays comme un horizon incertain où tout peut arriver. Les uns, protestataires déterminés du mardi et du vendredi, se convainquent mordicus que cette échéance électorale n'aura pas lieu. Les autres, faiseurs de président acquis à la cause du système pour le pérenniser sous le vernis illusoire d'un changement… dans la continuité, soutiennent que celui qui d'entre les Algériens n'adhère pas à leur dessein «est un traître à la patrie, vendu à la solde des ennemis de l'Algérie». Les hommes changent, le système reste…