Depuis son installation à la tête de Sonatrach, il y a plus d'un mois, le nouveau PDG, Noredine Cherouati est soumis à rude épreuve : réhabiliter l'image d'une compagnie ternie par le scandale et surtout remettre de l'ordre dans une gestion lourdement entachée. Avec l'arrivée de Abdelhafid Feghouli, nommé PDG par intérim, le 16 janvier dernier après l'inculpation de Mohamed Meziane (PDG) et de ses quatre vice-présidents, la R15, procédure de régulation des passations de marchés, a été bloquée puis revue en prenant en compte la circulaire du Premier ministre, Ahmed Ouyahia, du 21 décembre 2009, relative justement aux marchés publics. Elle est devenue R16 et entrée en vigueur au mois d'avril dernier. L'on se rappelle que dans sa note circulaire du 3 février dernier, Feghouli avait demandé aux cadres dirigeants de la compagnie la poursuite du processus de passation de marchés lancé avant le 21 décembre 2009, c'est-à-dire avant l'instruction du Premier ministre pour ceux signés avant cette date, tout en annonçant des « modalités transitoires pour les processus lancés après ladite circulaire ». Mais la nouvelle procédure (dite R16) qu'il va mettre en place n'a pas réussi à régler la situation catastrophique née du scandale, mais aussi par des mesures draconiennes imposées par Ahmed Ouyahia dans un souci de rigueur en matière de gestion des deniers de l'Etat. C'est ainsi qu'une centaine de contrats, à consultation restreinte ou de gré à gré, a été tout simplement annulée par la compagnie. Parmi ces derniers, certains laissent perplexe. C'est le cas par exemple du contrat d'assistance et de conseil signé avec le bureau d'études Ernst and Young. Pour un montant de 6,68 millions d'euros, ce dernier devait uniquement réorganiser l'activité commercialisation, alors dirigée par Chawki Rahal, actuellement en détention provisoire. Une partie de ce contrat a déjà été entamée et la partie étrangère s'est contentée d'accepter le fait accompli. Un autre marché, d'un montant de 64 675 000 d'euros, a également suscité de lourdes interrogations. Légitime quand on sait que cette importante enveloppe a trait uniquement à des travaux de rénovation de l'immeuble Ghermoul, à Alger. Attribué à la société Imtech Deutschland Gmbh and Co.Kg en juillet 2009, ce contrat a été signé après consultation restreinte. Le choix d'Imtech est encore plus surprenant, du fait qu'il s'est fait au détriment de la société libanaise Ccic, dont l'offre était de loin la moins-disante. L'entreprise a été tout simplement écartée et d'une manière flangrante au profit de Imtech, qui par la suite a sous-traité avec d'autres intervenants pour la réalisation du contrat. Le détail des factures relatives à cette prestation donne le tournis. Rien que le mobilier de bureau coûte 4,950 millions d'euros, les sanitaires 1,710 million d'euros, le revêtement 3,520 millions d'euros, les cloisons et faux plafonds 4,320 millions d'euros, l'équipement de cuisine 1,021 million d'euros, menuiserie et bois 4,930 millions d'euros, etc., sans oublier les travaux de démolition au prix de 945 000 euros… 4,950 millions d'euros pour le mobilier de bureau Dans le même cadre, l'équipe dirigeante de Sonatrach a annulé un autre contrat relatif au réaménagement du bureau du PDG et du secrétaire général de la compagnie (fourniture vestiaire étranger et salle Hassi Messaoud, porte coupe-feu pour escalier et porte coupe-feu zone présidentielle, ainsi qu'une porte coupe-feu étrangers et des canapés), mais aussi l'acquisition d'installation électrique au niveau des bureaux de la piscine olympique Ben Ali Cherif. Ce contrat a été octroyé par la procédure de gré à gré à la société française CAPMG pour un montant global de 2,566 millions d'euros. Là aussi le détail laisse perplexe : des salons en cuir à 29 565 euros à raison de 4 fauteuils pour 10 848 euros, 2 canapés de deux places pour 8 760 euros, 2 autres de 3 places pour 9 960 euros. Mieux encore, le montant de la fourniture de complément d'électricité pour le bureau piscine atteint 90 901 euros, alors que l'aménagement de la salle Hassi Messaoud au siège coûte 1,360 million d'euros et celui des bureaux du PDG 509 077 euros et du secrétaire général 326 627 euros. Ce ne sont là que quelques exemples édifiants sur la gestion des deniers de Sonatrach. Ce qui explique la rapidité avec laquelle au moins une centaine de contrats, octroyés de gré à gré ou après consultation restreinte, notamment en 2009, ont été annulés par la compagnie, en dépit du fait que certains, comme avec Ernst and Young, la réalisation avait été engagée. Une décision prise par Feghouli et confirmée par le nouveau patron de Sonatrach, Noredine Cherouati, lequel a néanmoins entamé la révision de la R16, devenue, selon beaucoup, un facteur de blocage pour toute prise de décision, parce qu'en contradiction avec l'instruction du Premier ministre, Ahmed Ouyahia, relative aux marchés publics. Le PDG est revenu à la commission de marchés dont une nouvelle composante a été déjà désignée, sans être officiellement installée. Des consignes strictes ont été données pour faire avaliser tous les marchés et conventions quel que soit leur nature ou leur montant par cette structure, qui existait avant, mais qui était dépourvu de toutes ses prérogatives. Certains cadres de la compagnie indiquent qu'aujourd'hui, « rien ne se fait sans passer par cette commission. Même les conventions banales relatives aux prises en charge dans les structures de vacances pour les cadres et les employés de Sonatrach sont transmis à cette commission alors qu'avant, elles étaient signées au niveau des directions… Personne ne savait comment se traitaient les contrats et sur quelle base les partenaires étaient choisis », relève un cadre du service audit. Une situation qui, pour certains, peut être considérée comme « un nouveau départ pour une meilleure prise en charge des actes de gestion », et pour d'autres, « une autre forme de blocage qui risque de compliquer davantage l'état de paralysie » qui caractérise la compagnie depuis que ses cadres dirigeants ont été poursuivis pour malversations et violation des lois régissant les marchés publics. A ce sujet, l'instruction judiciaire semble piétiner, en dépit du fait que certains avocats estiment qu'elle se fait dans la précipitation. Ce qui laisse croire que cette affaire n'est en fait que l'arbre qui cache la forêt…