D'Alger et d'ailleurs est le titre du corpus de Lâmouri Boulefaâ, paru aux éditions Dalimen, un auteur qui se surprend à prendre la mesure du temps dans l'ancienne médina, à remonter le temps au prix de minutieuses, intéressantes et passionnantes fouilles dans le dédale de cet espace séculaire. Un travail de bénédictin auquel s'attelle l'architecte chercheur à dévoiler un pan de mystique dans le bâti traditionnel de la ville d'El Djazaïr Ibn Mezghenna. L'espace de cinq ans, il s'est employé à décrypter le sens que délivrent les nombreux messages de chacun des signes greffés dans les éléments architectoniques qui composent l'habitat casbadji ancestral. « Rien n'est gratuit ni aléatoire dans ce qu'on voit dans le bâti de La Casbah d'Alger, dont la pierre, le signe, le volume, la décoration s'inscrivent dans un langage architectural particulier qui obéit à une réflexion bien au-delà de l'aspect économique, technique, esthétique ou sociologique », soutient l'auteur de l'ouvrage, qui s'est inspiré de la réflexion du philosophe allemand, Martin Heidegger, autour de l'architecture sur des questions précieuses et soucieuses que sont : « Qu'est-ce donc habiter » et « Que veut dire bâtir ». S'il est vrai que chaque pierre parle, convoque les réminiscences et raconte les fragrances d'autrefois, elle ne met pas moins en avant la charge émotionnelle dans le bâti qui se cache ou se dérobe sous nos yeux de profanes : l'accent soufi ou mystique qui sert de soubassement au type d'habitation casbadji est mis en avant. Par extension, celui-ci régule l'espace, voire se veut un rappel permanent qui invite à la méditation transcendantale. L'auteur avec qui nous avons eu une qaâda autour de son ouvrage - passé sous silence - édité lors du Panaf 2009, nous plonge dans ce patrimoine dont le volet matériel (les murs, le beyt, le qboû, la colonne torsadée, la voûte ogivale, le patio, la composition florale, la terrasse, etc.) renvoie à une évidence loin d'être niaise ou fortuite, sinon conditionnée par cette valeur puisée aux sources du sacré : l'amnios religieux. Il serait réducteur, laisse-t-il entendre, de voir dans les éléments architecturaux de simples images qui procèdent du technique, de l'esthétisme ou de la fonctionnalité dans l'espace, car chaque élément est chargé de sens qui ranime le cœur et l'esprit dans une dimension verticale, cette ascension vers les cieux. A l'image du beyt dont le volume rappelle la tombe qui s'ouvre sur le patio revêtu de marbre immaculé représentant de par sa forme, la qaâba et en soulignant dans le fond la blancheur de la terre du Jour de la Résurrection (ardh el mahchar). Au fil des chapitres, l'auteur compulse une bibliographie non sans fureter dans les textes coraniques pour mettre en relief cette parfaite harmonie dans le bâti et cette osmose rythmée entre ciel et terre. Si l'Occident avait le souci du technique, l'Orient obéissait à l'éthique, rappelait à juste propos le penseur Malek Bennabi. Ainsi, le lecteur est invité à faire des haltes dans un livre de 185 pages riches d'une foule de questionnements et d'illustrations parfaites, qui remet « l'architecture, au sens le plus large, au cœur du débat de société qu'elle n'aurait jamais dû quitter », avertit l'auteur qui rappelle, toutefois, que sa contribution n'a guère cette « prétention de l'exhaustivité, ni l'arrogance de la certitude » quand bien même « l'hypothèse - mise en exergue - se pare d'attraits de vérité ». La réflexion de l'auteur s'affranchit de toute extrapolation. La recherche somme toute passionnée et passionnante que nous livre l'auteur se veut « un ru qui rassemble mille gouttes ; un écrit qui rassemble mille histoires souvent parallèles, mais aux connexions multiples et aux convergences certaines ». En clair, un brin d'éclairage au service de la mémoire collective qu'il ne s'agit pas d'occulter, dira notre interlocuteur. Et de conclure : « Si on ne donne pas le sens à l'enfant concernant les éléments architecturaux du bâti, celui-ci ne s'emballera guère à prendre soin de son patrimoine, voire son capital ». Soulignons que l'auteur a présenté, il y a une dizaine d'années, une étude sur l'exutoire naturel de la place des Martyrs. Son hypothèse – publiée récemment dans Vies de villes – conforte les récentes découvertes – révélées en août 2009, lors de la fouille sondage entreprise par une équipe composée d'archéologues algériens et de l'Inrap (France).