Le hirak était encore là hier, contre vents et marées, démentant tous ceux qui avaient prédit son reflux, voire programmé son extinction. Certes, il était plus compact, ce qui est normal, vu le double effet du temps et des événements, mais son exceptionnel dynamisme, il ne l'a pas perdu. Par son endurance, il prouve qu'il n'est pas un phénomène de mode, encore moins un élément de folklore, c'est une force exceptionnelle, sans affiliation ni guide politique, une flamme qui éclaire le pays. Né d'une histoire tumultueuse mais nourricière, le hirak a réussi à redonner un sens civilisationnel à la société algérienne et il restait aux élites de la politique et de la société civile de l'accompagner en confectionnant des projets politiques et des modèles de développement pour le pays, le cap stratégique tracé étant la liberté, la démocratie et la justice sociale. C'est en ignorant ce triptyque que Bouteflika a chuté, plus que pour son caractère autocratique. En vingt années, l'ex-président de la République n'a pas fait décoller son pays ni amélioré le niveau de vie de la population. Il s'est contenté de brader les ressources au profit de cercles divers de la politique et des affaires. L'écrasante majorité des Algériens a été de ce fait laissée en rade ; pis encore, sans aucune perspective d'avenir, notamment pour la jeunesse. Après sa chute, durant une année d'une interminable parenthèse, les choses sont restées en l'état. Si des oligarques indûment enrichis sont passés à la trappe, rien n'est venu se mettre au diapason du hirak. Les autorités dites de transition ont ignoré l'essentiel de ses messages d'espoir et fait le choix de lui porter de sérieux coups, notamment par le biais d'une incompréhensible répression. Le nouveau chef de l'Etat se retrouve face à un double défi. Le premier est d'effacer deux héritages, celui de Bouteflika et celui des autorités qui ont eu à gérer le pays entre son départ et l'élection présidentielle du 12 décembre 2019. Faire oublier le règne de Boutelika, c'est assainir totalement les institutions publiques et la vie politique, c'est faire basculer définitivement l'ancien système. Faire oublier la période antérieure dirigée par l'état-major de l'ANP et Abdelkader Bensalah, c'est vider les prisons de tous les détenus d'opinion, renoncer définitivement à toute forme de répression, et enfin rétablir la liberté d'expression et de mouvement. Plus d'un mois et demi après son élection, le nouveau président de la République ne s'est pas positionné totalement et franchement par rapport à ce double héritage. En d'autres termes, il n'a pas mis fin de manière radicale aux dégâts commis par Bouteflika et aux errements des responsables intérimaires à la tête du pays durant l'année 2019. Les séquelles sont encore trop visibles et cela empoisonne la société en quête de rupture. Par ailleurs, Tebboune n'a pas encore livré sa stratégie d'avenir. Est-ce par prudence, le temps de voir plus clair et de s'entourer de toutes les garanties ? Est-il confronté à des résistances internes au système ? Il ne l'a pas dit lors de sa conférence de presse, alors même que les citoyens attendaient de lui des propos forts et transparents, des diagnostics sans complaisance ainsi que des décisions fermes dans tous les secteurs-clés. Les Algériens, qui découvrent enfin un chef de l'Etat s'adressant directement à sa population et de manière tout à fait ordinaire, ce qui n'est pas arrivé depuis bien des années, sont restés sur leur faim. Ils peuvent comprendre la difficulté de la tâche présidentielle et même patienter encore, mais ils ne pardonneront pas les tergiversations, les demi-mesures ou les remèdes de façade. Ou pire, qu'on les dupe de nouveau. C'est ce que leur a enseigné le hirak.