Ennahdha a fini par accepter le gouvernement Fakhfakh, avec des retouches minimes et sans Qalb Tounes. Le président Saïed a imposé à la classe politique sa lecture de la Constitution. Le défi socioéconomique reste le plus important à relever. Elyes Fakhfakh a présenté, mercredi soir, sa copie retouchée au président de la République, Kaïs Saied. La classe politique a travaillé d'arrache-pied durant les dernières 72 heures du délai constitutionnel des 30 jours accordés à Fakhfakh. La tension a baissé visiblement depuis l'acceptation, en début de semaine, des ténors d'Ennahdha du verdict du président de la République, concernant l'inéluctable dissolution de l'Assemblée, faute de confiance au gouvernement Fakhfakh. La majorité du monde politique a préféré faire partie du compromis. Le conseil de la choura d'Ennahdha a dû se résigner, mercredi, à accepter le gouvernement Fakhfakh, légèrement modifié, après avoir haussé le ton durant sa session du week-end. Les islamistes avaient alors déclaré rejeter cette proposition et s'attacher à la formule de gouvernement d'union nationale, intégrant Qalb Tounes. Entre les deux sessions, le président Saied leur avait annoncé qu'il n'y avait que l'option Fakhfakh ou des législatives anticipées. Ennahdha a négocié jusqu'au bout l'attribution des portefeuilles de l'Intérieur et des TIC, préférant garder les anciens ministres, avant d'accepter d'accorder le ministère de l'Intérieur à un conseiller du président Saied et les TIC à l'actuel PDG de Tunisie Telecom. Fakhfakh n'a changé aucun nom proposé pour les ministères de souveraineté. Il a juste changé l'attribution de sa conseillère, Lobna Jeribi, des TIC vers les Grands dossiers auprès de la présidence du gouvernement. Ce sont, plutôt, les islamistes qui se sont redistribués leurs portefeuilles entre eux. Résignation Finalement, pour la première fois de son histoire, la Tunisie aura une femme ministre de Justice en la personne de Mme Thouraya Jeribi. Il s'agit d'une «indépendante», tout comme les trois autres ministères de souveraineté, Défense, Affaires étrangères et Intérieur, occupés, eux aussi, par des personnalités indépendantes. Dix autres portefeuilles ont été attribués à des indépendants. Par contre, les partis politiques, notamment Ennahdha, ont obtenu 15 sièges sur les 29 composant le nouveau gouvernement, en plus de deux secrétariats d'Etat. Les islamistes seront en charge des ministères de la Santé, des Transports, Agriculture, Collectivités locales, Sports, ainsi que l'Equipement. Ettayar aura les ministères de la Réforme administrative et de la bonne gouvernance, l'Education, ainsi que celle des Domaines de l'Etat. Tahya Tounes aura la Coopération internationale, ainsi que l'Environnement. Echaab aura le Commerce, ainsi que l'Emploi et la Formation professionnelle. Al Badil Ettounsi sera au Tourisme avec Mohamed Ali Toumi. Nidaa Tounes prendra en charge les relations avec l'Assemblée. C'est dire que les partis politiques ont divisé le gouvernement avec les personnalités indépendantes. Enjeux Normalement, le gouvernement Fakhfakh aura, ce mercredi, une majorité confortable devant l'Assemblée des représentants du peuple, avec les blocs d'Ennahdha (54 sièges), Ettayar (22), Echaab (17), Tahya Tounes (14), El Islah (15), ainsi que quelques députés indépendants. La barrière des 109 députés serait facilement dépassée, malgré les décisions du bloc Al Karama (17 sièges) et celle du Parti destourien libre (17), de ne pas accorder la confiance au gouvernement Fakhfakh. Concernant Qalb Tounes (38 députés) et Nabil Karoui, ils hésitent encore à accorder leur confiance à l'équipe Fakhfakh, même après la rencontre de jeudi entre Fakhfakh et Karoui. Ce dernier a certes régulièrement affirmé que «ce qui compte, ce sont les priorités du gouvernement, notamment la lutte contre la pauvreté». Fakhfakh a expliqué à Karoui que le programme de son équipe focalise sur les démunis. Il se peut donc que les cinq prochains jours aideraient à ramener Qalb Tounes à la majorité. Pour ce qui est des véritables défis devant l'équipe Fakhfakh, ce sera, d'abord, la crise socioéconomique secouant le pays. Laquelle crise a certes commencé à se désamorcer dans les grands équilibres, à savoir le déficit budgétaire, balance des paiements et taux d'inflation. Mais il reste à répercuter ces améliorations à l'échelle des citoyens. Il y a, ensuite, la lutte contre la corruption et pour la remise à niveau de la valeur du travail. A ce titre, la production du phosphate devrait reprendre pour stabiliser davantage la balance des paiements. Mais il s'agit, aussi, d'endiguer l'économie informelle, qui puise entre 30 et 40% du PIB. La balle est dans les camps des ministres Abbou et Msellini. La partie ne sera pas facile pour le team Fakhfakh.