Les Libanais et les hommes politiques de ce pays n'ont pas peur des mots, avec la multiplication des attentats au Liban. Ils entendent appeler les choses par leur nom et éviter les faux-fuyants. Ces personnes tout comme le président Emile Lahoud qui a fort justement souligné que son pays n'était pas l'Ukraine ou la Géorgie où les changements de pouvoir et de régime ont eu lieu sans heurt majeur. A entendre les Libanais, leur pays peut replonger dans la guerre civile, une période aussi triste que mortelle de son histoire. Ils en sont à compter les attentats comme celui de vendredi qui a visé un centre commercial et résidentiel de la région chrétienne du Metn à l'est de Beyrouth, faisant neuf blessés. Comme les précédents, et comme tous ceux qui ont marqué la période de la guerre civile, il n'a pas été revendiqué. Selon la police, l'explosion a été provoquée par 20 à 25 kg d'explosifs TNT placés dans une valise posée dans un parking du centre commercial qui compte également plusieurs appartements résidentiels, dans le village de Broumana, à une vingtaine de kilomètres à l'est de Beyrouth. L'explosion, entendue à plusieurs kilomètres à la ronde, a causé d'importants dégâts dans les sous-sols de l'immeuble de six étages. Le centre abrite aussi une succursale de la Banque de la Méditerranée qui appartient à la famille de l'ex-Premier ministre Rafic Hariri, assassiné le 14 février. C'est le quatrième attentat à l'explosif frappant les régions chrétiennes depuis le 19 mars. Le village de Broumana est un des fleurons touristiques du Liban et c'est un lieu de villégiature très prisé et fréquenté surtout par les touristes arabes du Golfe. Les trois autres attentats, également nocturnes, avaient visé les 19, 23 et 26 mars des banlieues chrétiennes commerçante, touristique et industrielle au nord de Beyrouth, faisant au total 3 tués et 17 blessés. L'opposition a immédiatement accusé les services de sécurité libanais, et estimé que les attentats visent les régions chrétiennes, car elles représentent le principal bastion de cette opposition. Le député de l'opposition Nassib Lahoud a affirmé que « la main criminelle qui a frappé à Broumana est la même qui a sévi à Bouchriyé, à Kaslik et à Jdeidé », lieux des trois précédents attentats. « Il s'agit d'une agression contre l'ensemble du peuple libanais qui ne pliera pas », a ajouté M. Lahoud. Un autre opposant, Carlos Eddé, a estimé que l'objectif de ces explosions est « de torpiller les élections (législatives), de provoquer le chaos et de semer la peur parmi les citoyens pour les dissuader de réclamer leur indépendance et leur liberté ». Les législatives doivent se tenir avant le 31 mai, date de l'expiration du mandat de l'actuel Parlement. La presse libanaise a consacré ses titres à l'attentat de Broumana. « Le chantage à la violence se poursuit : Broumana quatrième cible des terroristes », écrit le journal francophone L'Orient-Le Jour. « Le terrorisme rampant frappe Broumana », écrit le quotidien Al Mostaqbal, qui appartient à Hariri, alors que son confrère Al Liwa affirme que « la série d'explosions souligne l'urgence de former un gouvernement ». Cet attentat est intervenu quelques heures après que M. Karamé eut annoncé qu'il renonçait à son intention d'abandonner à nouveau son poste. « M. Karamé nous a fait part de sa volonté de se désister, car il n'a pas réussi à convaincre (l'opposition) de participer à un gouvernement d'union nationale, mais nous avons refusé et lui avons demandé de poursuivre ses tentatives de former un gouvernement », a affirmé le président du Parlement libanais Nabih Berri. « Nous voulons qu'il forme un nouveau gouvernement le plus tôt possible afin que les élections législatives se tiennent sur la base de la Mohafaza (la grande circonscription) tel que cela a été édicté dans les accords de Taëf (1989) » qui ont mis fin à la guerre civile libanaise, a-t-il dit. Cette demande constitue un retour en arrière par rapport au projet de loi électorale présenté par le gouvernement démissionnaire, les partis majoritaires au Parlement ayant accepté l'adoption de petites circonscriptions (qui favorisent une meilleure représentativité). Cette décision répond au désir de l'opposition, mais la presse la tient en suspicion. Sous le titre « Nouveau scénario pour retarder les élections », le journal An Nahar affirme en effet que M. Karamé a « fait un tournant de 180 degrés en acceptant de former un gouvernement avec ceux qui le veulent ». « En contrepartie, Berri a lancé des instructions pour retirer le projet de loi électorale présenté par le gouvernement démissionnaire afin que le Parlement prépare un autre projet se basant sur le principe de la Mohafaza et la proportionnelle, signifiant qu'il n'est pas pressé de tenir le scrutin », ajoute An Nahar. Pour le journal As Safir, le rassemblement d'Aïn Tiné, du camp dit pro-syrien, « a ouvert la porte pour un règlement possible de la crise du gouvernement, mais il a aussi ouvert la porte à un long débat sur les élections avec l'annonce du refus du projet de loi électorale en cours de discussions ». L'opposition tient à la tenue des législatives avant le 31 mai, date de l'expiration du mandat de l'actuel Parlement, et accuse le pouvoir de vouloir les retarder et prolonger le mandant de cette chambre. M. Karamé avait démissionné une première fois le 28 février, sous la pression de la rue et de l'opposition, qui bénéficie notamment du soutien des Etats-Unis et de la France. L'opposition avait haussé le ton jeudi contre le pouvoir, en l'accusant dans un communiqué de vouloir « saborder » ces élections. Bénéficiant d'un vaste soutien populaire qui s'est accentué depuis la mort de Hariri, l'opposition est sûre de gagner le scrutin, ce qui renversera la donne au Parlement pour la première fois depuis des années. Là bien entendu, n'est qu'une hypothèse parmi d'autres et que rien ne donne gagnante au regard du système politique libanais. En tout état de cause, une bataille est engagée, et l'on dit même que le Liban n'est plus celui de 1990 et encore moins celui des années de guerre.