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«Les réserves de change encore disponibles sont le seul rempart qui reste face à la crise» Mohamed Cherif Belmihoub. Professeur et analyste en économie
– Quel pourrait être le niveau d'impact de la chute des prix du pétrole sur l'Algérie, qui est un pays très dépendant des ventes des hydrocarbures ? En raison de la dépendance structurelle de l'économie algérienne aux hydrocarbures, toute évolution du prix du pétrole aura un impact direct. La chute des prix depuis la mi-février 2020 impactera d'abord les équilibres budgétaires très fragiles, tels qu'ils ont été montés par la loi de finances 2020. En effet, cette dernière a pris comme prix de référence pour le calcul des recettes de la fiscalité pétrolière 50 dollars et un prix de marché de 60 dollars (pour estimer le montant qui va alimenter le FRR). Avec un prix actuel de 32 dollars au cours de cette semaine, l'équilibre budgétaire peut être rompu si cette chute persiste dans le temps ; ce qui est très probable si l'on en croit les prévisions de l'AIE. Cette dernière prévoit, dans son dernier rapport (mars 2020), que le Brent se situera autour des 43 dollars. La baisse de la demande de pétrole sur les marchés est estimée à plus de 10 mb/j. Avec ces prévisions, le prix du pétrole peut chuter encore jusqu'à 23 dollars, qui est le coût de production du pétrole de schiste. – A quel scénario devrions-nous nous attendre dans les prochains mois, avec non seulement la chute des prix du pétrole mais aussi l'impact de la pandémie de coronavirus sur l'économie nationale ? En effet, la chute de plus de 36% réduira d'autant les recettes de la fiscalité pétrolière budgétisées. Nous savons aussi que ces recettes ont été diminuées de 7% par rapport à 2019, alors que les recettes de la fiscalité ordinaire ont été surestimées dans la loi de finances 2020. La conjonction des deux facteurs de crise : la chute des prix de pétrole et la baisse de l'activité économique au niveau mondial conduiront nécessairement à une révision totale de la structure des dépenses publiques. Déjà beaucoup d'entreprises ont vu leurs activités amputées par l'effet de la baisse de la demande publique et ont procédé à la libération des travailleurs avant la crise sanitaire. La situation actuelle n'est pas de nature à améliorer leur situation. A court terme, ni l'approvisionnement des marchés ni le paiement des salaires ne poseront problème. Les réserves de change permettent encore d'importer les quantités nécessaires en produits pour la population et en inputs pour l'économie. Surtout ne pas confondre réserves de change et ressources budgétaires. Comme ressources, les réserves de change ont été déjà consommées, il ne reste que la contrepartie des devises converties en dinar. Avec les réserves de change, on ne finance pas le budget, mais on paie les importations, s'il y a une contrepartie en dinar. – Que devrait contenir la prochaine loi de finances complémentaire comme mesures pour faire face à cette situation ? La loi de finances 2020 a été bâtie sur des hypothèses farfelues, comme l'augmentation des recettes fiscales ordinaires de 9%, alors qu'on a prévu un taux de croissance de 1,8% et qu'on n'a pas changé significativement la structures des impôts et taxes. La loi de finances complémentaire doit corriger toutes les incohérences de la LFI et procéder à des transformations à la fois sur les recettes et sur les dépenses ; il s'agira donc plus qu'un réajustement, mais un nouvel arbitrage. Du côté des recettes, on peut imaginer à la fois une dévaluation du dinar pour surévaluer les recettes de la fiscalité pétrolière, un endettement interne (auprès de la BA par la planche à billets) et un endettement extérieur (dette concessionnelle) pour le financement d'une partie du budget équipement. Tous ces montages de financement sont à considérer avec précaution, car ils comportent tous des risques dont l'inflation pour les deux premiers et un impact sur la balance commerciale et de paiement pour les deux derniers. Les réserves de change encore disponibles (autour de 60 Mds dollars) sont le seul rempart qui reste face à la crise, ils atténuent significativement les impacts négatifs sur l'économie et la population. Mais c'est peut-être, avec la crise, le moment est venu pour engager une véritable réforme économique. Pour la réussir, il faut une vision politique, des compétences nationales, une pédagogie et une communication à destination des citoyens pour expliquer les enjeux et les défis. – Dans d'autres pays, des signaux forts ont été envoyés aux entreprises pour faire face à la crise. Que pourrait entreprendre l'Etat dans ce sens en Algérie ? Vous faites certainement référence à l'Allemagne et à la France, entre autres. Ces deux pays ont mobilisé des ressources financières considérables (pas seulement budgétaires) de 450 Mds d'euros pour le premier et 600 Mds d'euros pour le second. L'Algérie n'a, pour le moment, ni des ressources publiques ni des ressources du marché financier et par conséquent sa marge de manœuvre est très limitée. Il faut que le coût de la crise et celui de la sortie de crise soient partagés par l'ensemble des composantes de la nation (Etat, entreprises, citoyens) dans le cadre d'un contrat ou d'un pacte économique et social qui définit la contribution et les droits de chacun. Il n'est plus possible de faire supporter le coût total par l'Etat (dans l'incapacité aujourd'hui), ou par les entreprises (vulnérabilité structurelle des entreprises publiques et fragilité financière des entreprises privées) et encore moins par les citoyens seuls (revoir la dépense liée aux subventions, sans remettre en cause de manière forte le pouvoir d'achat des plus démunis). Les termes de l'équation du partage des coûts, de la responsabilité de chacun et des droits de chacun dans la construction du renouveau de l'économie nationale, ne sont pas facile à élaborer, mais il y va de la survie de la nation et il n'y a plus de place pour les égoïsmes et les calculs de court terme. Les 20 dernières années ont justement été caractérisées par ces pratiques, voilà le résultat auquel nous sommes arrivés.