La parole des soldats français, qui ont participé à l'ignominieuse guerre d'Algérie, se libère peu à peu. Les livres se multiplient et, phénomène nouveau, le théâtre s'y engouffre en douce. Algérie, contingent 1956, de Manuel Pratt, est dans cette veine. Avignon. De notre envoyé spécial Il y a quelques années, Ma guerre d'Algérie, de Bernard Gerland avait ouvert la voie au Festival Off d'Avignon. En 2010, c'est Manuel Pratt qui remet le couvert. Fils de militaire de carrière engagé au moment de la guerre d'Algérie, il a un compte à régler avec lui : « Il avait une haine profonde, il buvait beaucoup, il racontait les horreurs, il essayait de se justifier, et des fois il disait qu'il fallait comprendre et que plus tard, moi aussi j'allais être un homme », nous a-t-il confié à l'issue du spectacle. « J'avais cinq ans, je ne comprenais pas trop. Il a mis le malaise en moi. Je me suis dit, un jour, que la meilleure des thérapies serait justement de rencontrer d'autres hommes qui ont vécu la guerre d'Algérie. Mon envie était d'aller en Algérie, de rencontrer des gens du FLN, d'aller là où était mon père, à Tizi Ouzou, dans les gorges de Palestro. J'ai vu mon oncle, lui aussi militaire, qui m'a donné un autre regard et ensuite je me suis adressé à la Fnaca (Fédération nationale des anciens combattants en Afrique du nord) pour recueillir d'autres témoignages de rappelés et d'engagés ». Poignants témoignages De ses dizaines d'heures recueillies, il a sélectionné les témoignages les plus marquants, avec un parti pris de dualité. « Le soldat qui ne connaît rien de l'Algérie, pacifiste, broyé par un système. Il arrive là-bas et se trouve contre ce qui se passe. Et puis, aussi le salaud ordinaire, un appelé qui fait son devoir, qui visiblement est religieux catholique, et parfois s'appuie sur la religion, alors que normalement toutes les religions sont des religions d'amour, et qui, en fin de compte, excuse la torture, disant que c'est le seul moyen pour achever vite la guerre, justifiant que les Français aussi passent un mauvais quart d'heure. Il y a une acceptation de l'horreur. On a un point A et un point Z ». Le troisième personnage est une femme, algérienne, qui porte la voix de son pays et surtout le cri du viol comme rarement on a pu en entendre toute l'horreur. « Le viol, c'est toujours tabou de toutes les manières parce qu'il y a toujours des soudards dans les armées. Le viol n'est pas que la douleur physique pour la femme. Il y a eu des enfants nés de ces viols. Le ventre d'une femme, c'est un champ de bataille. On l'a vu à Srebenica, au Rwanda et dans tous les conflits. On a souvent l'image de l'engagé, du para ou du légionnaire, mais non, c'est aussi l'appelé qui, le soir même de son forfait, écrit une lettre tendre à sa fiancée… C'était le type ordinaire, celui qui collectionne les dents en or arrachées sur ces victimes et joue ensuite avec un enfant algérien sur les genoux, et lui donne un gâteau », regrette le comédien. L'effroi à l'état pur, raconté par deux comédiens et une comédienne sur les planches, avec naturel. « Le théâtre documentaire c'est ça. On ne s'y interdit rien. Le tout, c'est d'être logique avec ses émotions, avec le texte, au mot pour mot, tout en pouvant le dire différemment à chaque représentation », nous explique le metteur en scène qui rêve de partir en Algérie le donner : « Là-bas, en Algérie, outre montrer ce spectacle, je voudrais m'excuser de ce que mon père a fait. Mon but est là. Quand on parle de pacification, on ne pacifie pas en brûlant des villages, ce n'est pas vrai ». Avant d'exaucer son vœu, il souhaite le présenter en France devant des jeunes, rencontrer la population algérienne et franco-algérienne. Ce serait déjà un vaste terrain à défricher, dans cette population parfois loin des racines et de son histoire heurtée.