Les grandes lignes du plan de relance socioéconomique approuvées récemment par le Conseil des ministres seront soumises à un débat national regroupant les différents acteurs économiques et partenaires sociaux, les 16 et 17 août prochain. Ces grandes lignes visent la définition d'un nouveau modèle économique établi sur des principes fondamentaux qui permettront, entre autres, une rupture avec les anciennes pratiques, l'exploitation optimale et transparente de toutes les potentialités et richesses du pays, la valorisation des différentes sources de croissance. Pour atteindre ces objectifs assez nobles, l'Etat compte s'appuyer sur quelques facteurs déterminants, notamment l'économie du savoir, la transition énergétique et la gestion rationnelle des ressources. En outre, la relance de la production nationale, la lutte contre le gaspillage, l'évasion fiscale, la surfacturation et la généralisation de la numérisation sont retenues comme actions prioritaires. Parmi ces axes prioritaires, figure également la volonté d'intégrer l'économie informelle dans le circuit normal de l'économie du pays. Les enjeux de cette mesure sont importants pour la croissance et la protection de l'économie des effets négatifs d'un endettement extérieur. L'économie informelle n'est pas une spécificité algérienne. Elle existe dans toutes les économies. Mais son ampleur et son impact sont assez limités dans les pays développés. Par contre, dans les pays en développement où la bureaucratie et la corruption sont importantes, elle occupe au sein de l'activité économique une place non négligeable, voire prépondérante. Son essor est devenu un facteur de déséquilibre de l'économie et des finances d'une nation. Les données statistiques sont faussées et ne reflètent plus la réalité. En nous appuyant sur quelques définitions retenues par les économistes ou les institutions internationales spécialisées, essayons de connaître les particularités qui caractérisent une économie informelle. Des travaux de recherche sur l'économie informelle retiennent trois caractéristiques spécifiques qui l'opposent au secteur économique considéré comme normal (C. Morrisson et D. Mead) : La taille : (très petites entreprises, petites et moyennes entreprises) L'informalité juridique : (inexistence de documents juridiques de création, statuts, registre de commerce, association...) La faible intensité capitaliste : (des activités qui ne nécessitent pas trop d'investissements ou d'équipements de pointe). La Banque mondiale considère l'économie informelle comme une activité marchande de biens et services agissant hors circuit légal et normal pour éviter les impôts, les charges sociales, le respect des normes et les lenteurs administratives. Il nous semble que la définition retenue par Larousse résume assez bien les caractéristiques d'une l'économie informelle. Ce type d'économie est considéré comme un ensemble d'activités économiques réalisées en dehors de la législation pénale, fiscale et sociale. L'activité du secteur informel échappe ainsi à la régulation, à la comptabilité nationale, aux statistiques et à la fiscalité. Le volume de cette activité et ses conséquences sur l'économie d'une nation sont assez difficiles à cerner. Plusieurs méthodes tentent d'évaluer l'importance de l'économie informelle : approche macroéconomique, approche par la perception de l'impôt, par le volume des salariés employés, par le volume de la demande de la monnaie. Le modèle Dymimc (Dynamic multiple indicators multiple causes) s'appuie dans son analyse sur plusieurs critères qui donnent une image plus ou moins complète de l'économie informelle dans un pays. Mais la fiabilité et la pertinence de toutes ces approches sont jugées insuffisantes. L'économie informelle occupe une place importante dans les économies en développement. Selon J. Chames, l'économie informelle représente 37,7% du PIB des pays de l'Afrique du Nord, 23,9% dans certains pays d'Asie et plus de 54% en Afrique. Par contre, dans les pays développés, ces taux sont assez relatifs : 6,9% en Suisse, 7% en Allemagne, 7,6% en Autriche. Le taux moyen dans les pays membres de l'OCDE varie entre 14 et 18%. Les économies de l'ancien bloc socialiste ont connu durant leur phase de transition, d'une économie planifiée à une économie du marché, des taux assez élevés atteignant parfois plus de 64% du PIB (cas de la Géorgie). Mais la maîtrise des effets de cette économie parallèle semble donner des résultats intéressants dans beaucoup de pays. Dans les pays européens, le non-versement des charges sociales et la sous-évaluation des activités et des résultats font perdre au Trésor public une moyenne de 20% de ses recettes totales. Mais l'économie informelle possède des aspects positifs. Elle emploie beaucoup de salariés. Selon l'OIT, plus de la moitié de la main-d'œuvre mondiale exerce dans l'informel. Ce type d'économie offre également des produits très compétitifs, car ses coûts ne comportent pas les charges sociales et les taxes. Mais son volume de production et de transactions reste en dehors de la sphère économique légale. Tenant compte de l'importance de ce dysfonctionnement et de ses conséquences multiformes, beaucoup d'économistes et organisations internationales recommandent d'intégrer le volume des activités de l'économie informelle dans la comptabilité nationale. Ce secteur a beaucoup de conséquences sur l'ensemble de l'économie, sur ses différents équilibres macroéconomiques, sur la masse monétaire et l'emploi. Les causes de cette informalité trouvent leur origine dans les lourdeurs administratives, le niveau des taux d'imposition et des charges sociales, l'inefficacité de l'administration et d'une réglementation assez vague et excessive, le pouvoir abusif des pouvoirs publics, l'absence de réponse à des recours formulés par les entreprises privées, la corruption. Des études économiques sur l'informel indiquent que la généralisation de la corruption conduit fatalement à une expansion démesurée des activités informelles. Ces études démontrent qu'il existe une corrélation directe entre le niveau de la corruption dans un pays et la taille de l'économie informelle. (F. Schneider avec la collaboration de D. Enste – FMI). Voyons ce qui caractérise le secteur informel en Algérie, ses causes et ses conséquences multiformes sur l'économie nationale et son évolution. L'économie informelle en Algérie englobe les caractéristiques qui définissent d'une manière générale un secteur informel et possède, aussi, des particularités. Les causes de l'expansion de l'informel sont liées à la nature du système politique, économique et social, aux différentes options économiques retenues, à la bureaucratie, à la méfiance envers le secteur bancaire, à la complexité du système fiscal, à l'expansion de la corruption... La bureaucratie, le rejet et la méfiance envers l'initiative privée entretenue depuis les années 1970 où la doctrine du «tout Etat» régnait sans partage, ont permis à l'économie informelle de se propager d'une manière excessive. Cette manière de gérer l'économie a contribué également à la naissance d'autres facteurs de blocage, notamment la corruption, l'impunité et le rejet de tout ce qui est réglementaire. Ces comportements ont empêché la concrétisation et la réussite des réformes entreprises. Les difficultés de création d'entreprise, la fiscalité, l'absence de visibilité à moyen et long termes et l'inadaptation du secteur bancaire aux exigences d'une économie de marché ont accentué l'instauration, voire la généralisation d'une économie informelle. En Algérie, ce type d'activité a pris une ampleur démesurée et possède un impact considérable sur l'économie nationale. En effet, des études menées par des chercheurs algériens, le Cread, l'université de Tlemcen, la Banque mondiale, l'OIT, confirment l'ampleur de ce secteur dans l'économie. L'économie informelle tend à devenir le principal acteur économique du pays. Beaucoup de secteurs sont dans leur quasi-totalité dans l'informel. C'est le cas des activités du commerce de gros, de la distribution, de l'électroménager... Malheureusement, l'ensemble des transactions se font en dehors de tout cadre juridique normal. Les statistiques indiquent que les activités et les transactions du secteur informel représentent plus de 47% de la masse monétaire et 45% du PNB. On estime les capitaux qui circulent dans cette sphère à plus de 50 milliards de dollars. En outre, l'économie informelle emploie 45,6% de la main-d'œuvre totale dont 45% dans les services, 37% dans le bâtiment. Le secteur agricole est dans sa quasi-totalité dans l'informel où la facturation des ventes et les déclarations des ouvriers sont peu pratiquées, voire inexistantes. La précarité et l'absence de protection sociale sont les principales caractéristiques de la gestion des ressources humaines dans le secteur informel. Malgré les mesures prises par les pouvoirs publics pour faciliter la création d'entreprise et améliorer le climat des affaires, l'économie algérienne demeure confrontée à beaucoup de blocages. L'insuffisance des mesures prises pour améliorer le climat des affaires est confirmée par les classements qu'enregistre l'économie algérienne dans ce domaine par rapport aux pays développés ou en transition. En effet, sur la base des données de l'année 2019 relatives au climat des affaires, le Doing Business classe l'économie algérienne au 157e rang. Dans le critère «facilité de faire des affaires», notre pays occupe le 152e rang. Il est 181e dans l'obtention d'un prêt bancaire et 158e dans la complexité de la fiscalité. Beaucoup d'initiatives ont été retenues et appliquées par l'Etat, notamment sur le plan des procédures, de la fiscalité, du financement... Mais les résultats demeurent peu convaincants. Face à la complexité de cette situation, nous constatons malheureusement que tous les instruments utilisés jusqu'à présent pour canaliser les fonds de l'économie informelle sont restés sans effet positif. La méfiance est toujours là. Aujourd'hui, l'Etat a besoin de toutes les capacités de son économie (formelles et informelles) pour relancer la croissance et le développement et éviter un endettement extérieur qui pourrait être fort préjudiciable à l'indépendance économique et à l'avenir du pays, notamment pour les générations futures. Que faire pour rétablir la confiance et transformer ce potentiel en un facteur de développement et d'équilibres macroéconomiques ? Quelles sont les politiques, les réformes ou mesures qui peuvent inciter les nouveaux promoteurs et créateurs d'entreprise à agir dans le cadre légal ? Une phase de transition est-elle nécessaire ? C'est la problématique que l'Etat tente de résoudre depuis des décennies. Il nous semble que des pistes, des approches ou des stratégies peuvent être conçues à partir des expériences réussies qui ont donné des résultats positifs dans beaucoup de pays développés ou en transition. Le but est d'atténuer les effets des activités informelles sur l'ensemble de l'économie et transformer les potentialités de cette économie en un facteur de croissance. Ces expériences nous indiquent que la réussite de toute réforme de ce genre dépend en premier lieu de la qualité et de l'efficacité des institutions, du respect du droit et de l'équité de son application, d'une fiscalité simple avec des taux d'imposition assez limités, d'un secteur bancaire moderne, efficace et adapté à la petite et moyenne entreprise et d'un climat des affaires débarrassé de la corruption et d'une réglementation assez excessive. En outre, des études menées par des institutions internationales ont démontré que le durcissement de la lutte contre l'informel est contre-productif et estiment qu'il est plus intéressant de s'attaquer aux causes qui ont conduit à cette situation. Ces causes sont liées au système politique et économique caractérisé par l'inapplication du droit, la corruption, la complexité de la fiscalité, les lourdeurs bureaucratiques, le volume des charges sociales... L'acte d'investir a besoin d'une vision économique à long terme. Une économie qui s'appuie continuellement sur des options conjoncturelles ne peut attirer d'investisseurs. Il est temps de réunir l'ensemble des conditions qui permettront une amélioration conséquente du climat des affaires où le promoteur, le chef d'entreprise, l'investisseur et l'entrepreneur seront considérés comme des créateurs de richesses et d'emplois nécessaires à la croissance et au développement du pays.
Par Brahim Lakhlef Economiste, diplômé en économie, auteur de plusieurs ouvrages, notamment : Qualité des institutions, réformes et résultats économiques (ALE-éditions), La gestion d'une entreprise en difficulté (El-Djazairia-éditions), Le tableau de bord pour piloter votre entreprise (Baghdadi-éditions).