Le Conseil de sécurité a condamné mardi soir l'assassinat du ministre libanais antisyrien Pierre Gemayel et a donné son feu vert au projet d'accord avec le gouvernement libanais pour la formation d'un tribunal international chargé de juger les suspects dans l'assassinat de Rafic Hariri en octobre 2005. Le Conseil des Nations unies a "condamn(é) sans équivoque" le meurtre le jour même de Pierre Gemayel à Beyrouth, ainsi que "toute tentative de déstabilisation du Liban par l'assassinat politique ou d'autres actes terroristes". Le jeune ministre de l'Industrie était "un patriote (et) un symbole de la liberté et de l'indépendance politique du Liban", a-t-il estimé. La mort du ministre antisyrien alimente la tension déjà forte au Liban plongé dans une crise politique opposant le gouvernement de Fouad Siniora soutenu par Washington au Hezbollah proche de Damas et Téhéran. L'attentat a été perpétré quelques heures avant l'adoption de la lettre autorisant le secrétaire général de l'ONU, Kofi Annan, à sceller l'accord avec le gouvernement de Beyrouth sur le tribunal international. Sur un autre registre, le Liban a décidé d'annuler les festivités pour l'anniversaire de l'indépendance, alors que le Pays du Cèdre s'enfonçait un peu plus dans la peur et la tristesse mercredi à la veille des obsèques de Pierre Gemayel, le leader chrétien et ministre farouchement antisyrien assassiné dans la banlieue nord de Beyrouth. Les écoles et les magasins étaient fermés et la circulation était minime quand le cortège transportant le cercueil de Gemayel recouvert du drapeau de son parti de la Phalange roulait à faible allure en direction du fief familial de Bifkaya pour les cérémonies de deuil avant les obsèques de jeudi. Une petite foule de Libanais dont certains portaient des drapeaux frappés du Cèdre, marchaient lentement derrière le véhicule transportant le cercueil. Pierre Gemayel, 34 ans, également neveu du président Bachir Gemayel élu et assassiné en 1982, est la cinquième personnalité antisyrienne et le premier membre du gouvernement de Fouad Siniora tué au Liban depuis deux ans. Grièvement blessé lors de l'attentat, il est mort à l'hôpital. L'armée libanaise a été déployée dans les rues de Beyrouth, où la population a cédé mardi à quelques mouvements de panique et de colère. Quelques heures après l'assassinat, unanimement dénoncé par les grandes capitales occidentales et par les Nations unies, le Conseil de sécurité de l'ONU a approuvé le projet de création d'un tribunal international pour juger les assassins de Rafic Hariri. L'ex-Premier ministre avait été assassiné à Beyrouth le 14 février 2005, quelques mois après avoir rompu avec Damas et ce meurtre avait précipité la fin de trois décennies de tutelle syrienne sur le Liban. Des responsables syriens et libanais ont été mis en cause dans le meurtre, selon les rapports d'étape d'une commission d'enquête de l'ONU. Le projet de tribunal international réclamé par l'ONU et le gouvernement libanais a suscité de profondes divisions entre le clan prosyrien et la majorité antisyrienne, au pouvoir depuis les élections du printemps 2005 qui avaient suivi l'attentat. Saad Hariri a accusé mardi Damas de vouloir "tuer tout homme libre" au Liban et le Premier ministre Fouad Siniora a promis que "les assassinats ne terroriseraient pas" les actuels dirigeants du pays. La Syrie a pour sa part condamné un "crime qui vise à déstabiliser le Liban". Pierre Gemayel, marié et père de deux fils, a été abattu à bout portant alors qu'il était au volant de sa voiture sur la route de Jdeideh, au nord de Beyrouth. Trois hommes ont d'abord immobilisé la voiture avant de faire feu, l'atteignant à la tête, a raconté un témoin. Un garde du corps a également été tué. Ministre et député de la majorité parlementaire antisyrienne, Pierre Gemayel est le fils de l'ancien président Amine Gemayel (1982-88) et neveu du président élu Bachir Gemayel, assassiné lui aussi en 1982. Ce nouvel attentat survient sur fond de turbulences politiques, au moment où l'opposition prosyrienne tente l'épreuve de force pour gagner une influence accrue au sein du gouvernement, dans la foulée de l'offensive militaire menée en juillet et août par Israël contre les bases du puissant parti chiite Hezbollah. Le Hezbollah a estimé mardi que l'assassinat de Pierre Gemayel visait à "pousser le Liban vers le chaos et la guerre civile". Six ministres pro-syriens, dont cinq chiites du Hezbollah et du mouvement Amal, tous deux soutenus par Damas, ont démissionné récemment. Officiellement, ces démissions ont été provoquées par l'échec des consultations sur la formation d'un gouvernement d'union au sein duquel l'opposition exige d'élargir son assise. Mais la majorité considère qu'elles ont été suscitées par l'approche de la date de la mise sur pied du tribunal international sur l'assassinat de Hariri. De l'aveu même des médias proches du bloc prosyrien, l'assassinat de Pierre Gemayel a cependant jeté dans l'embarras l'opposition qui se préparait à une épreuve de force contre le gouvernement Siniora. "Le crime a jeté le désarroi dans le camp de l'opposition qui se préparait à une épreuve de force avec le gouvernement. Ces sont maintenant les loyalistes qui se préparent à manifester et la tension risque de créer des dissensions inter-chrétiennes", écrivait mercredi le quotidien Al-Akhbar, proche de l'opposition et du Hezbollah.