Le texte sur Les Racines du discours idéologique algérien demande une analyse critique. D'abord parce qu'il vise à illustrer l'indigence du discours nationaliste algérien que reconnaît l'auteur de l'étude. C'est à ce titre précisément qu'il aura été longuement traité. Ensuite, après vérification auprès de l'auteur et de l'éditeur, il s'avère que ce texte est une partie d'une thèse (1999, Université d'Alger). Cela rend sa critique un devoir intellectuel et une obligation universitaire même si un jury a cautionné ce travail. Du point de vue académique, ce travail présente un certain nombre de problèmes épineux : 1 - Son objet défini par le titre référent est l'expression manifeste d'une absence de problématisation rigoureuse. En effet, s'agissant du discours, poser la question des racines (judhur), c'est déplacer l'épistémè dans laquelle le discours, tout discours, se forme. Tout discours est le produit de locuteurs à destination d'interlocuteurs, c'est-à-dire qu'il est l'exposant d'une interaction, avant tout verbale, voire actantielle. 2 - C'est un paradoxe que ce discours soit caractérisé comme étant idéologique, c'est-à-dire, dans la logique de son auteur, un outil d'hégémonie et de domination (comme a essayé de le démontrer l'auteur dans l'introduction de l'ouvrage, pages 27 à 39). Les Algériens colonisés et dominés par une puissance coloniale ne pouvaient logiquement le produire, sauf à supposer qu'il y a un discours algérien idéologique qui implique un rapport de domination entre les Algériens eux-mêmes. Ce qui change totalement la problématique. Peut-être que l'auteur de la thèse voulait parler en fait d'un discours politique qui peut exprimer, en revanche, un combat d'émancipation ou d'adhésion. Dans ce sens aussi, il paraît incongru de parler d'un discours idéologique assimilationniste algérien pour les raisons invoquées ci-dessus, à moins de souligner que les Algériens assimilationnistes produisaient un discours idéologique d'autoaliénation, ce qui reste à démontrer. Mais dès lors que le problème du discours est posé non pas en termes de fondements (religieux, culturaliste, éthique, idéologique, politique, scientifique, philosophique, sociologique, psychologique), mais de racines (sic), c'est-à-dire de source et de structure allant de la structuration profonde de la société à la naturelle et réelle culturation des hommes, le problème de l'assimilation ne concerne plus uniquement l'assimilation à l'Europe qu'elle fut romaine jadis ou encore à l'Orient, c'est-à-dire arabe dans les âges moyens et turque par la suite, enfin à la française de 1830 à 1954. Car, enfin, il faut le rappeler au besoin, il n'y a de racines naturelles algériennes qu'amazighes, avec une langue reconnue jusqu'à aujourd'hui comme étant la plus ancienne en pratique millénaire sur le Maghreb et, vu sous cet angle, la désaliénation commence à peine. Il lui reste, hélas, encore bien du chemin à faire. Mais Ahmed Hamdi, qui méconnaît peut-être la langue et la culture amazighes, dont justement sa région natale fut un des berceaux, ce qui n'est pas une tare en soi, tout comme il semble méconnaître la culture amazighe kabylophone de résistance populaire au colonialisme tout le long du XIXe siècle et du XXe, ce qui est préjudiciable pour un historien, limite intentionnellement l'assimilation à la période française pendant laquelle, soulignera-t-il, les assimilés indigènes furent ceux-là qui ne connaissaient ni « la langue ni la culture de leur peuple » (p. 89, p. 93 et, sic, p. 94). Que dire dès lors à l'universitaire, par ailleurs affable autant qu'imaginatif, mais qui laisse à penser qu'il ignore que la révolte de 1871 en Kabylie, à l'instar de toutes les révoltes paysannes et ce jusqu'en 1923 pour la dernière chez les Chaouïa Harakta de Touzline, aura été la conséquence des expropriations, des exécutions sommaires, des viols, des séquestres, de l'exploitation et de la répression coloniaux plutôt que ce soulèvement qui, selon lui, aurait été « une réaction au décret Crémieux parce qu'il avait autorisé les juifs à se naturaliser (s'assimiler) tout en gardant leur statut particulier » (p. 90) ! Il eût fallu lire, non pas les poussiéreux historiens, mais les si beaux isefra de M'hand u M'hand tout simplement, poète populaire s'il est encore besoin de le rappeler. Que Si Ahmed ne connaisse peut-être pas la culture toute première enracinée et populaire de l'Algérie profonde, la culture amazighe des Adrar, des Aurès, du Chenoua, du Hoggar, de Kabylie, du M'zab, de Oued Souf, des Tassili, il n'est pas pour autant un assimilé à... J'aime la langue d'El Djahedh. Lire El Maâri ou Bachar me libère plutôt que cela ne m'aliène. 3 - Plus grave que tout le reste est le déficit méthodologique. Il hypothèque ce travail. L'analyse d'un discours ne saurait être confondue avec l'analyse des institutions organiques et politiques produisant le discours. L'analyse proposée par Hamdi est historique et institutionnelle et non sémiologique, encore moins linguistique. De plus, en passant du discours traditionaliste (taqlidi) au discours assimilationniste (idmaji et indimaji) pour finir au discours patriotique (watani), la démarche est incohérente, les niveaux de référence des instantiations n'étant pas équivalents. 4 - Mais là où le travail devient en lui-même franchement problématique, c'est quand un universitaire s'appuie, pour les besoins de son argumentation, sur un discours polémique et tendancieux d'un journaliste dont la préoccupation essentielle aura été à ce jour encore de soutenir la persistance de la guerre linguistique et culturelle et à l'entretenir et à l'attiser dans une Algérie meurtrie par le terrorisme intellectocide et usée, surtout et dangereusement, par la persistante et permanente barbarie médiocratique.