Trois ans jour pour jour se sont écoulés depuis l'incendie qui a ravagé, le 30 avril 2002, la cellule n° 11 de Serkadji, à Alger, emportant 23 détenus dans des conditions tragiques et non encore élucidées. Trois semaines auparavant, le 2 avril 2002, 20 pensionnaires de l'établissement pénitentiaire de Chelghoum Laïd, dépendant de la cour de Constantine, étaient morts asphyxiés dans leur cellule après qu'un détenu eut mis le feu à son matelas. Des informations judiciaires ont été ouvertes au niveau des parquets, alors que du côté administratif, des commissions d'enquête ont été installées pour élucider les circonstances de ces événements, qui, selon le ministre de la Justice de l'époque, Ahmed Ouyahia, actuel chef du gouvernement, « visaient probablement » sa personne en tant que ministre. En effet, quelques jours plus tard, un autre incendie s'est déclenché dans une cellule de la prison d'El Harrach faisant 28 détenus blessés, dont 7 gravement atteints. De nombreux actes de violence se sont propagés durant la première semaine de mai dans les prisons de Aïn M'lila, Mila, Sétif, Annaba, Béchar, faisant plusieurs blessés. Ces événements ont dévoilé à l'opinion publique les pénibles conditions d'incarcération des détenus qui, souvent, sont entassés à plus d'une cinquantaine dans des salles d'une capacité d'accueil ne dépassant pas 10 personnes. Devant cette situation dramatique, le ministre de la Justice, Ahmed Ouyahia, et le ministre délégué chargé de la Réforme pénitentiaire, Abdelkader Sallat, se sont engagés à mettre la lumière sur les responsabilités des uns et des autres dans ces incidents tout en promettant aux familles de rendre publics les rapports d'enquête. Trois ans après et exception faite du parquet de Constantine qui a publié les conclusions de ses investigations, l'opinion ne sait toujours pas comment et pourquoi une cinquantaine de détenus, mis sous la responsabilité de l'Etat, ont péri. Agissant au nom du collectif des familles des 23 victimes de Serkadji, Abderrahmane Mekdoud, frère du plus jeune détenu mort calciné, se prépare à animer une conférence de presse pour « réclamer la vérité ». Ce collectif s'est constitué partie civile et a déposé plainte auprès du parquet d'Alger. Non encore remis de la disparition de son jeune frère, M. Mekdoud se demande combien de temps les familles des victimes vont-elles attendre encore pour « avoir les réponses aux lourdes interrogations » qui hantent leur esprit. « Nous voulons connaître les circonstances de la mort de nos proches. Combien de temps sont-ils restés prisonniers des flammes ? Comment se fait-il que les prisonniers aient eu tout le temps de brûler jusqu'aux os ou de suffoquer dans une cellule de prison alors que les équipements anti-incendie de la Protection civile étaient sur les lieux ? », a déclaré M. Mekdoud. Selon lui, les familles vivent toujours avec l'espoir que la vérité leur soit dite. Issues en majorité de couches moyennes, les victimes avaient en commun l'âge et « les petits délits » pour lesquels elles ont été condamnées. Hicham Omari, 22 ans, condamné à 3 mois, Khawid Mohamed Nassim, 18 ans, condamné à 8 mois, Kamel Mékidèche, 18 ans, condamné à un an. Certains, comme Habib, venaient de purger leur peine et devaient quitter la prison le lendemain du drame. Il en est sorti dans un cercueil plombé et ses parents n'ont pas pu voir son visage pour la dernière fois. M. Mekdoud a longuement insisté sur le devoir de l'Etat de « dire la vérité » sur la mort des victimes, « mais aussi les laver des accusations de mutinerie et de destruction de biens de l'Etat, portées contre elles et que les familles ont du mal à accepter ». M. Mekdoud a rappelé les engagements non tenus des autorités à propos de « la réparation » des familles, même si « au fond le plus urgent et le plus important reste », a-t-il ajouté, la vérité sur ces événements. Ces événements qui, faut-il le préciser, ont permis aux autorités d'engager de profondes réformes dans le système pénitentiaire à travers d'abord l'amélioration des conditions de détention - qui passe nécessairement par la construction de nouvelles structures répondant aux normes internationales - mais aussi par la formation du personnel pénitentiaire et surtout la mise à niveau de la réglementation qui régit les prisons et leur fonctionnement.