Tranquille, élégante et parfois secouée par le tonnerre d'une grosse pluie, San Francisco accueille son 48e Festival international du film qui a démarré le 21 avril et qui s'achèvera le 5 mai, avec au programme 185 films venus de 45 pays. Pas les sous-produits d'Hollywood et d'ailleurs avec la castagne et l'horreur en trois dimensions, mais des images venues d'ailleurs, de loin. Chaque film est toujours étranger quelque part en dehors de son pays, c'est évident. Mais voir des films marocains, argentins, hongrois, indiens ou malaisiens dès le départ au milieu d'une foule trépidante de passion cinéphile tout en mangeant du pop-corn, cela paraît encore plus étrange, parce que les Américains n'achètent pas les films d'autres pays que le leur. Et c'est grâce à des festivals comme San Francisco que les écrans résonnent parfois par d'autres langues. Des œuvres fortes comme la production marocaine : A Casablanca, les anges ne volent pas, de Mohamed Asli, Tanit d'or à Carthage 2004, des films sur la guerre (Dias of Santiago), sur la politique (The fall of Fujimori), ou carrément des mélodrames ultrasophistiqués (à la Satyajit Ray) : le film indien du Bengali Rituparno Gosh : Chokker Bali (un grain de sable dans l'œil) ou encore une fois la troublante Aishwarya Rai apparaît dans toute sa splendeur. Basée sur une nouvelle de Rabindranath Tagora, l'histoire se passe en 1902, à un tournant politique capital à la suite de la proposition britannique de faire la partition du Bengale au moment où la lutte pour l'indépendance de l'Inde est dans une phase décisive. Avec beaucoup de grâce et de subtilité, la mise en scène de Rituparno Gosh nous plonge dans un drame familial, une dévorante passion pour conquérir la liberté d'une femme au moment où le pays s'achemine vers l'indépendance. En Inde, un ordre social nouveau et le sujet des vieilles traditions tel fut le credo de R. Tagore et tel est le thème de cette œuvre magnifique. Pratiquement toutes les régions du monde sont représentées au Festival de San Francisco. L'Asie du Sud-Est (des fictions et des documentaires après le drame du tsunami), le Moyen-Orient (avec la Libanaise Danièle Arbid), l'Amérique latine (Argentine et Pérou (un documentaire sur la chute de Fujimori), la Méditerranée aussi - signalons qu'avant Mohamed Asli, beaucoup de cinéastes maghrébins ont montré leurs films à San Francisco. Le public américain a pu voir les films de Nadir Moknèche, Mohamed Chouikh, Belkacem Hadjadj, Moufida Tlatli... De riches mécènes sponsorisent le Festival de San Francisco qui s'emploie de son côté à organiser des « big nights », des galas de prestige autour de certains grands cinéastes et acteurs afin de renflouer sa trésorerie. San Francisco est une ville qui défend avec ferveur son caractère cosmopolite avec ses communautés chinoises, latines, japonaises, coréennes, son passé flamboyant et excentrique. Mais en même temps ici on n'oublie pas la contestation politique. Pendant le déroulement du festival, il y a eu de rudes affrontements dans les campus universitaires. Des groupes d'intellectuels et d'artistes s'opposent avec fermeté aux recruteurs de l'armée et de la marine américaines. Comme l'a montré Michael Moore dans son film 9/11 Fahrenheit, les jeunes étudiants sont approchés par les militaires qui leur promettent monts et merveilles. S'ils acceptent, la plupart sont envoyés en Irak ou en Afghanistan, des pays dont on ne revient pas.