Le général Michel Aoun rentré hier au Liban après quinze ans d'exil serait-il l'homme du changement, voire d'une révolution parce qu'il n'y a pas de mot suffisamment fort pour qualifier le changement attendu dans ce pays ? Lui, le putschiste vaincu et exilé, n'entend pas prendre sa retraite. A l'entendre, il a un grand projet pour son pays, celui de le pousser vers la modernité et en faire une véritable démocratie. Il aspire même à en devenir chef de l'Etat pour concrétiser ce projet. Dans ses différentes déclarations, il montre du doigt le système confessionnel et ses implications qui empêchent selon des spécialistes l'émergence d'une nation au sens plein du terme, car les Libanais ne se sentent pas autre chose, mais il s'agit des véritables frontières intérieures qui développent davantage le réflexe communautaire. « Il faut qu'il y ait une certaine émancipation des mentalités », a ainsi déclaré l'ancien général. « Il faut sortir du carcan des traditions qui ont affecté la vie politique », a-t-il poursuivi. « Nous avons beaucoup de signes pathologiques dans notre société auxquels il faut remédier », a relevé le général. « Il y a le féodalisme politique qui est un facteur de stagnation, qu'il faut éliminer », a-t-il dit. « Il y a cet héritage confessionnel fanatique (qui) est un facteur d'autodestruction. » « Il y a ce facteur (...) de corruption. » « C'est un projet de société », a résumé celui qui affirme à qui veut l'entendre qu'il est à l'origine de « la résistance à l'occupation » syrienne. Pour lui, « le peuple libanais est assez éveillé et il va adhérer à ce changement ». « Tous ceux qui désirent des réformes au Liban et qui ont une nouvelle vision de l'avenir du pays, nous serons ensemble », a-t-il assuré. Le général Aoun a une nouvelle fois demandé à la Syrie d'installer « une représentation diplomatique » au Liban, « comme un signe de reconnaissance du pays définitive ». Il a réaffirmé qu'il faudrait « réviser tous les accords qui ont été faits avec le Liban (pour) les rendre plus équilibrés, plus équitables (...) parce que, pendant l'occupation, la Syrie a profité d'une position dominante pour faire ces accords-là ». Celui qui s'est déclaré récemment prêt à jouer un rôle politique important dans son pays, voire à assumer la présidence de la République si un « consensus national » se dégageait, entend réinvestir la scène politique malgré son âge (70 ans). Il entend voir et être vu des Libanais en se rendant sur la tombe du soldat inconnu, symbole des souffrances passées pendant quinze ans de guerre civile et de la nécessaire réconciliation entre Libanais. Immédiatement après, il déposera une autre gerbe sur la tombe de l'ex-Premier ministre Rafic Hariri dont l'assassinat, le 14 février, a provoqué une profonde crise et hâté le retrait des troupes syriennes, achevé le 26 avril. Michel Aoun ira ensuite à la rencontre des Libanais auxquels il s'adressera à la place des Martyrs, rebaptisée place de la Liberté. A ce sujet, dit-on dans son entourage, beaucoup de jeunes Libanais de la diaspora sont déjà rentrés des Etats-Unis, de France et d'ailleurs pour être présents samedi sur cette place. Comment organiser un tel débat, c'est-à-dire surmonter toutes les résistances - et il y en a - à l'abolition par exemple au fameux Pacte national, un accord non écrit qui remonte à 1943 et qui répartit le pouvoir entre les deux grandes communautés religieuses ? Même l'accord interlibanais de Taef de 1990 qui a mis fin à quinze années de guerre civile n'y a pas touché. Par ailleurs, le Premier ministre libanais Nagib Miqati a affirmé vendredi, après une rencontre avec le secrétaire général de l'ONU, son engagement à coopérer avec la communauté internationale, tout en soulignant que la question de la branche armée du Hezbollah est une affaire intérieure. Il a exprimé la volonté de coopération de Beyrouth quant à l'enquête sur l'assassinat de Rafic Hariri, la présence d'observateurs internationaux lors des élections législatives et la vérification du retrait des troupes syriennes. En revanche, la question du sort de la branche armée du Hezbollah est une affaire intérieure, a-t-il souligné devant la presse, au siège des Nations unies à New York, au terme de 40 minutes d'entretien avec Kofi Annan. « Nous insistons sur le fait que la solution concernant les armes du Hezbollah viendra essentiellement du dialogue national libanais », a-t-il dit. La résolution 1559 du Conseil de sécurité de l'ONU réclamait le retrait syrien et le démantèlement de toutes les milices libanaises et étrangères sur le sol libanais. Mais au Liban, un consensus se dessine sur le fait que la dissolution des milices est une question intérieure. La branche armée du Hezbollah y est d'ailleurs qualifiée de « résistance anti-israélienne » et non de milice. Le chef du gouvernement a en outre demandé vendredi « le soutien de la communauté internationale pour la libération des prisonniers libanais détenus dans les prisons israéliennes et la fin des violations par Israël de la souveraineté libanaise ». Voilà une question totalement occultée par la 1559 et, malheureusement, il n'est pas évident qu'elle soit abordée au regard du contexte actuel. Une autre injustice.