Il était une fois un enfant qui aimait son père marin. A force de l'attendre, de scruter la mer bleue, ses yeux ont happé la brume qui couvrait l'horizon. Chaque jour, il s'asseyait sur le plus haut rocher de la pente de Fontaine Fraîche et buvait de ses yeux, couleur de miel, les eaux calmes de la baie d'Alger. Mais le père tardait à revenir. En fait, il ne reviendra jamais. Par une nuit pluvieuse, il était à bord d'une barque qui s'approchait de la baie d'Alger. Malgré la pluie battante, la mer n'était pas houleuse. La nuit était noire, opaque et la visibilité presque nulle. Soudain, des rafales de mitrailleuse couvrèrent le bruit mélodieux de la pluie sur la surface de la mer. Des balles traçantes déchirèrent l'obscurité et des projecteurs puissants illuminèrent la petite barque en bois. Bagtache père et ses compagnons comprirent très vite : une embuscade ennemie. Avec leurs Mat 24, ils ouvrirent le feu en direction de la mitrailleuse. Trop tard, ils sont touchés tour à tour. Avant de succomber, Bagtache père revit sa femme, sa mère et ses petits enfants. Juste avant que la mort ne calcifie ses yeux, il a cru voir le petit Merzac courir parmi les rochers de la pente de Fontaine Fraîche. Quand Merzac Bagtache grandit, il aima la mer et les oiseaux, détesta les armes et le feu. Plus tard, quand il écrira son roman Les oiseaux du Zénith, il exorcisera sa peur. Mourad, l'enfant héros, défie les chars, les half-tracks et les soldats de l'armée coloniale, en tentant de fabriquer une radio. Voulait-il à sa manière contacter son père, même dans l'au-delà ? Sorti, en 1975, des presses de l'ex-ministère de l'Information et de la Culture, le roman, vendu à un prix symbolique, a été bien diffusé. Je l'ai acheté à Aïn Defla et suis venu voir Merzac à l'APS, sise à Port-Saïd, à l'époque. Merzac, très content, m'invita au Café du dinar. D'emblée, Merzac me lança, avec un léger soupir : « Mon jeune ami (Merzac me dépasse de sept ans), l'Algérie est mal partie. » Nous étions en 1975 ! Et voilà Merzac qui dit que l'Algérie va mal ! Ses paroles me glacèrent le sang. Un lourd silence s'installa entre nous. Quand nous reprîmes la discussion, nous parlâmes de la vie et de l'écriture. Je dis à Merzac que ton roman m'a beaucoup plu. Il se sentit flatté. Un rose bonbon envahit son visage joufflu (grand nageur, Merzac est de forte corpulence). Merzac Bagtache vient de publier son dixième roman Yahdouth Mala yahdouth. Editions Houma.