L'édification de Diar El Kef, situé dans un quartier périphérique d'Alger, en l'occurrence Oued Koriche (ex-Climat de France », a débuté le 20 juillet 1959. La physionomie du panorama urbain de la ville allait changer dans le contexte du plan de Constantine, initié et expliqué le 3 octobre 1958 par les autorités coloniales dans la capitale de l'Est algérien. D'importants chantiers, dont le maître d'œuvre est l'architecte Fernand Pouillon, sont lancés dans les banlieues, en particulier à Alger dans le cadre du plan de développement économique et social, où les bidonvilles sont détruits afin d'être remplacés par de grands ensembles d'habitations urbaines. Diar El Kef, rebaptisé Mohamed El Hachemi Tazrout, est assemblé à l'origine de deux bâtiments A et B, conçu en forme de L et dont chaque immeuble comprend respectivement trois et cinq cages d'escalier. Soit : A, B, C et A, B, C, D, E. Après l'indépendance, les pouvoirs publics ont décidé de rajouter six immeubles l'identiques, dont trois blocs en semi-collectifs et trois autres édifices de type R+2, appelés Cité nouvelle et rebaptisés récemment Ali Agdour. La démographie galopante aidant, la population de Diar El Kef est estimée aujourd'hui à plus de 16 000 âmes. Mme F. Abdelatif et son voisin Hamid, dont leurs parents sont d'authentiques habitants de Diar El Kef, nous ont accompagnés durant tout le temps qu'a duré notre périple dans cet ensemble urbain. Diar El Kef ou les 900 Portes, c'est aussi les trois chemins modelés en escalier, qui montent inexorablement vers l'exclusion d'une importante frange de la société. Nos hôtes déplorent d'emblée la suppression de la ligne n°47 de l'Etusa, qui assurait la liaison place de la Régence-Cité nouvelle : « Les transporteurs privés refusent d'investir la ligne de Diar El Kef et cette situation profite énormément aux propriétaires de taxis... clandestins qui exigent 50 DA pour le trajet Bab El Oued-Diar El Kef. C'est le budget familial qui en pâtit le plus, puisqu'il nous faut assurer également les frais de transport de nos enfants scolarisés à Bab El Oued en l'absence d'un établissement scolaire à Diar El Kef. Nous attendons avec impatience le rétablissement de la ligne de l'Etusa, qui reliait autrefois l'hôpital Maillot à Diar El Kef. » Le circuit sinueux, à couper le souffle, longe un bidonville érigé sur le versant nord du Djebel (montagne) oublié. Selon les relevés de recensement établi par l'Office national des statistiques sis à Bab Azzoun, ce baraquement abritait en 1998, 215 familles soit 937 personnes. Le nombre d'habitants est allé depuis en crescendo pour atteindre le chiffre effarant de 400 familles, dont les natifs de Diar El Kef, auxquelles sont venues s'ajouter des familles de l'intérieur du pays. Notre tournée tortueuse se termine au bout de la carrière Jaubert avec ses vieux chalets en bois, qui font office de logements d'astreinte destinés aux agents d'exploitation de l'actuelle Ecava. « La fameuse carrière d'où l'on commençait à extraire la pierre que l'on engloutissait dans les travaux de la ville et du port. Et c'est pourquoi le plus vieux quartier de Bab El Oued s'appelle aussi Cantéra »(1). « Elle appartenait à M. Roubière, procureur de la République à Constantine. Très vite, la carrière passe aux mains des frères Jaubert. » (2) La carrière Jaubert pollue l'entourage et favorise des foyers d'épidémies liés aux infections des yeux et des maladies respiratoires. « Les riverains souffrent à longueur d'année de la conjonctivite et de difficultés respiratoires dues essentiellement aux épais nuages de poussière, qui se dégagent de la carrière. Pourtant, l'Ecava s'était engagée à investir dans la préservation de l'environnement à l'issue d'une réunion tenue avec le conseil exécutif communal de l'APC de Oued Koriche. Certes, la polyclinique assure des prestations médicales dans toutes les spécialités, mais le rendement est insuffisant, puisque l'assistance médicale se limite uniquement aux heures de la matinée, d'où l'absence totale d'un service d'urgence de nuit », a ajouté Hamid. Des explosions à répétition Les explosions à la dynamite pour l'extraction du gravier mettent les nerfs à rude épreuve et fragilisent davantage les structures des immeubles. Les propos de nos interlocuteurs, à ce sujet, provoquent des rires : « Les explosions ont lieu généralement en milieu de semaine et l'horaire est classé secret pour des raisons sécuritaires. La détonation est précédée en général de violentes vibrations équivalentes à peu près à 3,5 degrés sur l'échelle de Richter. Au cas où la secousse n'est pas suivie d'une explosion, on conclut tout de suite à une secousse tellurique. Les habitants de Diar El Kef sont devenus, grâce à ce procédé, des sismologues en puissance. Nous avons appris à vivre avec ces nuisances. Pour l'anecdote, nos proches et nos invités ne sont pas près de remettre les pieds chez nous ». Parler de l'environnement dans ce bastion de la survie provoque l'hilarité générale. « Le versement de la taxe sur l'environnement n'est pas encore à l'ordre du jour des pollueurs, surtout en ce qui concerne les préjudices dus aux déflagrations et les retombées des champignons de cendre. Il n'y a pas que ça ! Comme vous pouvez le constater, l'emplacement de l'ancien bidonville sert actuellement de décharge publique, alors qu'il était convenu d'aménager des espaces verts juste après le recasement dans des chalets les habitants de cette favela », abonde dans le même sens S. Abderrahmane, ingénieur à l'APC de Oued Koriche. L'infini couloir à la dignité « Diar El Kef est à l'origine un centre de transit érigé sur les décombres de bidonvilles de l'époque coloniale et destiné à familiariser les indigènes avec les conditions idoines de l'habitat moderne. L'indépendance est là et apparemment nos parents n'ont pas satisfait au test d'éligibilité à un logement décent. Alors que dire de nous ? » , ironise F. Abdelatif sur le seuil de sa maison. En fait de maison, le vocable d'un logis familial est une bicoque de mauvais aloi. Au demeurant, le terme de cellule n'est pas usurpé. Au contraire, c'est l'expression qui sied le mieux eu égard à une surface de 18 m2 où évoluent au bas mot 18 personnes. Authentique, puisqu'on est dedans dès l'accès au logis qui se termine à l'autre bout par une minuscule loggia, transformée en kitchenette de poche de 4.5 m2 et des toilettes collectives. L'absence de gaz de ville n'est pas faite pour rehausser le moral. « L'approvisionnement en gaz butane est assuré uniquement par le privé et la bouteille est cédée à 230 DA au lieu du prix initial fixé par Naftal. La demande est sans cesse croissante, surtout en hiver », a ajouté Abdelatif. L'opération Tiroir L'opération Tiroir, initiée par l'ancien wali délégué de Bab El Oued, est d'abord un test pilote, appliqué en priorité à Diar El Kef. « Comme son nom l'indique, le principe de l'opération consiste à vider un tiroir pour remplir un autre casier. Les premiers arrivés sont les mieux servis. La démarche a débuté par l'évacuation de 180 familles de la cage A et 108 familles des cages B et C, vers les sites de Draria et de Tixeraïne. Par contre, ceux qui restent vont bénéficier de l'espace, laissé vacant », a déclaré S. Abderrahmane. Le bloc A, refait entièrement à neuf, présente un aspect beaucoup plus esthétique que par le passé et les travaux d'agencement du bloc B sont actuellement en cours. L'opération permet d'aménager des logements de type F3 de 38 m2, grâce à la fusion opérée entre deux cellules. La production de logements de type F4, dans le concept mis en place, est possible à condition d'inclure la buanderie. « Le projet est au départ ambitieux, si ce n'est l'obstacle des murs porteurs, auxquels se heurte l'architecte. Le projet est conditionné par cette contrainte qui fausse complètement l'action sociale, puisque le taux d'occupation est resté le même », a déclaré S. Abderrahmane. L'opération Tiroir ne fait pas l'unanimité au sein des riverains. « L'idée est certes généreuse et le projet a le mérite d'exister, mais au demeurant, les habitants de Diar El Kef méritent mieux que ça ! La cité de Diar El Kef pourrait très bien servir de cité universitaire, eu égard à la distribution architecturale initiale des chambres », a tenu à préciser Hamid, l'heureux bénéficiaire d'un F3. L'espoir fait vivre, et ces petites gens à la foi inébranlable ne désespèrent pas d'atteindre un jour le rang de citoyens. Un vœu qui reste en deçà des moyens de l'APC. En attendant d'y parvenir un jour, seule une volonté politique de la dimension d'un plan Marshall peut venir à bout de la souffrance des gens de Diar El Kef. (1) -Jean Brune Alger-Bab El Oued (1956). (2) - Gabriel Conesa Bab-El-Oued notre paradis perdu. Robert Lafont (1970).