Le gouvernement est peut-être dispensé de construire un million de logements en cinq ans, un pari perdu d'avance, de l'avis des professionnels. Pourquoi ? Parce qu'il se précise de plus en plus qu'il faut surtout construire des logements « pour chaque tranche de demande solvable ». Plus compliqué dans un pays polarisé entre le logement social et le logement cher.Une famille à revenus moyens doit épargner tous ses revenus pendant environ neuf ans en Algérie pour être en mesure d'acheter un logement de qualité moyenne dans les grandes villes." Le gouvernement Ouyahia a peut-être trouvé un allié inattendu dans la dernière étude publiée par la Banque mondiale sur le logement dans quelques pays de la région Moyen- Orient—Afrique du Nord et qui inclut cette conclusion rédhibitoire. La crise du logement serait plus une crise d'accessibilité que de disponibilité. La même étude de la Banque mondiale précise que seulement 14 % de l'aide au logement profitent au quart de la population le plus pauvre. L'enjeu ne serait plus alors de construire un million de logements à l'échéance 2009. Mais de surtout faire coïncider chaque offre de logements avec son segment de demande solvable. Cela tombe bien, car les professionnels du secteur du bâtiment-promoteurs, urbanistes, cadres de collectivités locales- pensent, à voix basse, que le pari " très propagandiste " du million de logements " est déjà perdu ". " On peut avoir le plus beau programme du monde et les financements qui vont avec, encore faut-il évaluer sa force de frappe pour le mettre en œuvre, à commencer par son potentiel en ressources humaines. Or j'observe que les DUCH et les subdivisions qui sont au cœur de la mise en œuvre des programmes de logement souffrent d'une absence de vision et de savoir-faire appropriés", constate un cadre du ministère de l'Habitat, en rupture de ban. Dans les 48 wilayas, s'affichent, en effet, des prévisions de réalisation de programmes de logement qui s'étirent dans le temps, faute d'engineering de montage : " Pour cela, il faut savoir régler les problèmes d'intersectioralité, dégager les assiettes de terrain qui vont avec une démarche urbanistique, commander les études propres au site, drainer les financements et les promoteurs, réaliser les infrastructures de base et fournir les services, jouer de la concurrence des entrepreneurs, contrôler les chantiers et auditer les opérations."En deux mots, l'administration publique n'a pas ou n'a plus les moyens d'animation et d'encadrement nécessaires aux grands maîtres d'œuvre. 272 000 logements, parmi le million, sont prévus en milieu rural, tout le reste doit résoudre le casse-tête de l'implantation urbaine. A cette réserve, essentielle, s'ajoute tout le reste : un outil de réalisation " cassé " après le crash des entreprises du bâtiment dans les années 1990, une pénurie de main-d'œuvre qualifiée, " même l'apport chinois ne permet pas de tenir le calendrier ", affirme un " petit " promoteur du Val d'Hydra " otage " de ses carreleurs ; la précarité cyclique de l'approvisionnement en matériau de construction, " un bateau usine en rade de Annaba a provoqué une pénurie de ciment dans la région à cause d'un problème technique de conditionnement ", rapporte la wilaya, ou encore le bond brutal des prix comme c'est le cas avec le sable depuis l'interdiction - tardive - de l'exploitation des lits d'oued : " Le camion de sable est passé de 6000 DA à 50 000 DA. Il suffisait de réduire la taxe trop élevée sur le sable 0,1 de carrière afin d'éviter cette flambée actuelle, cela a été préconisé plus d'une fois, en vain ", explique notre cadre en réserve du ministère de l'Habitat. Des logements qui ne trouvent pas acquéreur Inutile donc de s'attarder sur ce pari du million de logements en cinq années. Même si la machine de l'Etat s'emballait dans les mois qui viennent pour mettre en chantier les 650 000 logements manquants pour solder le compte, " il y aurait un problème de marché. En dehors des logements sociaux, 12% du total des logements prévus, les autres formules auraient du mal à trouver leur clientèle ", affirme le " petit " promoteur. Le taux d'intérêt des crédits bancaires, encore en baisse ce dernier mois, n'est pas le seul handicap : " Trop de ménages ne remplissent pas les conditions d'accès au crédit immobilier à cause de revenus trop bas ou d'absence de patrimoine à hypothéquer ". Il y avait, au premier trimestre 2005, 32 000 logements CNEP qui n'avaient pas trouvé acquéreur. " Les sites d'implantation n'étaient pas attrayants. Les clients ont le droit en plus d'exiger une bonne qualité de finition pour des appartements qu'ils payent de leur argent". Si l'offre disponible a du mal à s'ajuster à sa demande, c'est toute la donne de la crise du logement qui en est chamboulée. Pour l'étude de la Banque mondiale, une petite bulle serait même en train de se former dans l'offre de logement destinée aux plus hauts revenus. Le logement moyen revient-il donc trop cher en Algérie ? A priori non si l'on s'en tient à la moyenne nationale au m2 affichée par le ministre de l'Habitat, M. Hamimid, dans un entretien à El Watan de janvier dernier : " 18 500 DA avec le VRD compris ". Cela c'était pour le quinquennat qui s'est terminé l'année dernière. Pour le prochain, la moyenne nationale du m2 réalisé coûtera plus cher. C'est cependant de ces prix administrés que se plaignent en premier les entreprises du secteur. Ils sont calculés au plus bas et provoquent systématiquement des révisions, une fois le marché remporté. Une fois de plus, la faiblesse de l'encadrement par l'Etat fait glisser les coûts : " Parce que l'étude n'a pas bien répondu à la question comment équiper le terrain ? " Et cela vient s'ajouter lourdement à la facture. L'essoufflement de l'AADL La formule qui a trouvé son adéquation avec une demande solvable est celle de la location-vente version AADL. Elle s'essouffle, " faute de management public ". Les financements sur fonds publics ne suffisaient plus, les estimations des coûts s'avéraient fausses, les banques n'étaient pas prêtes à prendre la relève, les entreprises chinoises ont été désorientées par l'environnement tatillon " qui tarde à payer et qui change les plans tous les mois ". Le taux d'occupation moyen par logement devrait, cependant continuer à descendre en Algérie dans les années qui viennent pour se rapprocher du standard de la zone Moyen-Orient - Afrique du nord. Grâce au programme quinquennal du million de logements qui n'en fera peut-être pas les deux tiers ? Un peu mais aussi grâce à un retournement attendu sur le marché locatif qui devrait faire baisser la barrière d'entrée, trop élevée dans les villes, au premier logement pour les jeunes ménages. " Grâce aussi aux émeutes locales, le meilleur moyen de faire construire de nouveaux logements sociaux, car après chaque distribution on se rend compte, avec perte et fracas, combien de familles ont été oubliées ", ironise Mme Benfella, architecte auprès d'une APC de la wilaya de Bouira. Familles hors marché, émeutes populaires, logements sociaux : voilà encore pour longtemps le vrai moteur de la politique du logement en Algérie.