Il y a un personnage nommé Zidane dans le nouveau roman de Gamal Ghitany Le livre des illuminations (Kitab al-Tajalliyât) paru début février au Seuil (Paris) et traduit par Khaled Osman. Mais il ne s'agit évidemment pas du même. Dans ce pavé de plus de 800 pages, il s'agit d'un saint homme portant une gallâbieh, dans sa main une ombrelle et un chapelet de bois de santal parfumé. Cheikh Zidane fait partie de la foisonnante galerie de portraits que nous offre Ghitany dans ce livre impossible à refermer tant les flots de visions, d'illuminations, de rêves fulgurants nous tiennent en haleine. Gamal Ghitany mêle son autobiographie dans ce roman à une entreprise littéraire magistrale. Et pourtant, au départ, on hésite. Encore un roman sur la mort du père et sur le retour d'exil ? Thèmes déjà archiprésents dans la littérature et aussi dans le cinéma ! Mais, comme dit Borgès, l'art n'est qu'un éternel recommencement. Tout a déjà été dit sur tous les sujets. La vie n'exclut pas qu'on puisse réinventer encore sur les mêmes sujets. Et c'est ce que fit Ghitany fort brillamment. Voici en résumé de quoi il s'agit : de retour au Caire d'un long exil, le narrateur constate que son père est mort. Sa femme met les formes pour le lui dire. Une insistante douleur plus forte que le chagrin s'empare de lui. Alors il se met à écrire. Par fragments : rêves, poèmes, citations coraniques, fables, illuminations, il entreprend une longue histoire, celle de l'Egypte, celle de son père dont il dessine un portrait majestueux. S'agissant de l'Egypte d'hier et d'aujourd'hui, on est profondément touché quand soudain au détour d'un chapitre réapparaît la figure légendaire de Gamal Abdenasser. Gamal Ghitany avait un problème à régler avec le président Nasser. Entre 1966 et 1967, il a été emprisonné et maltraité pour son appartenance supposée à une organisation séditieuse de gauche. Ghitany rappelle au passage ce malheureux épisode et interpelle Nasser : « Pourquoi, mais pourquoi ? » Mais dans son roman, Nasser réapparaît plutôt comme le héros de la Révolution de 1952 qui a été marquée par de grandes espérances sociales. Sous Nasser, il y a eu certes un manque flagrant de liberté d'expression. Le narrateur évoque aussi le courage solitaire du Raïs face à la coalition occidentale et Israël. Voici un des plus beaux passages du livre de Ghitany quand Nasser dit au narrateur qui l'interpelle : « Tu me connais ? » Et qui ne connaîtrait pas celui qu'il n'est nul besoin de faire connaître. A quoi Nasser répond : « Alors je suis bien en Egypte. Je vois des choses qui ne devraient pas être vues... Les Israéliens ont-ils franchi la ligne du front ? Leurs armées ont-elles atteint Le Caire ? Explique-moi, qu'est-ce que je vois ? Ne sont-ce pas là leurs drapeaux ? Ne sont-ce pas là leurs touristes ? Ne sont-ce pas là leurs livres et leurs journaux ? » Le narrateur dit alors : « Tout cela est vrai. J'y suis opposé même si je m'abstiens de protester par manque de courage et par crainte de représailles. » Gamal Ghitany : Le livre des illuminations, édition Seuil (Paris) traduction Khaled Osman, 880 pages, 35 euros.