Le président de la République, Abdelaziz Bouteflika, entame, à partir d'aujourd'hui, une visite d'Etat de trois jours au Portugal. C'est une première d'un chef d'Etat algérien. Elle entre dans le cadre d'un cycle de rencontres au plus haut niveau des deux Etats, initié par la venue à Alger du Président Jorge Sampaio en décembre 2003. Hormis un séjour dans la capitale algérienne de l'ex-président, Ramalho Eanes, en 1982, les relations entre l'Algérie et le Portugal ont connu un long « passage à vide ». Le Portugal, qui menait une politique maghrébine peu ambitieuse, avait axé sa politique extérieure dans son intégration au sein de l'Union européenne (UE), les pays de la communauté des pays à langue officielle le portugais et les relations ibéro-américaines. L'Algérie, de son côté, s'est « aventurée » dans le projet de construction de l'Union du Maghreb arabe (UMA). Cette visite du Président Bouteflika révèle deux dimensions particulièrement importantes : symbolique et politique, d'où une réception en grande pompe lui est réservée : le tapis rouge, les honneurs militaires du GNR, le dépôt de gerbes de fleurs et surtout un discours devant les députés dans l'hémicycle de l'Assemblée nationale, une tribune traditionnellement réservée aux chefs d'Etat de la communauté des pays ayant le portugais comme langue officielle. En premier, la dimension politique. De nombreuses rencontres avec son homologue portugais Jorge Sampaio, un déjeûner de travail avec le nouveau Premier ministre, José Socrates, durant lequel seront signés plusieurs protocoles d'accord d'investissement croisé dans les secteurs du transport (l'ouverture d'une ligne aérienne Lisbonne-Alger est maintenant possible), de la pêche (fabrication et maintenance de chalutiers, entre autres) et militaire. Il sera aussi l'invité du maire de Lisbonne, l'ex-Premier ministre, Pedro Santana Lopes. Il recevra les ambassadeurs arabes et africains accrédités au Portugal, coprésidera avec Jorge Sampaio le forum d'affaires algéro-portugais, durant lequel seront signés les statuts du conseil d'affaires luso-algérien. Le Portugal devra confirmer aussi sa participation à la prochaine édition de la Foire internationale d'Alger. Une rencontre avec la communauté algérienne au Portugal est aussi prévue, ainsi qu'une visite à Porto, où il sera l'hôte de Rui Rio, le maire de la ville. Il visitera par la suite un site industriel dans la région qui susciterait des intérêts d'investissement de Sonatrach et de Sonelgaz. Maintenant la symbolique. Une grande partie de l'élite portugaise, des hommes politiques, des intellectuels occupant de hautes responsabilités et d'autorité appartenant à « la génération d'avril » se souviennent encore du soutien de l'Algérie dans leur lutte contre le régime dictatorial d'Antonio Salazar et sa guerre coloniale. En les accueillant sur son territoire, l'Algérie permettait à Manuel Allègre, entre autres, l'un des « faiseurs de la révolution des œillets », actuellement député et figure emblématique du parti socialiste, d'animer à partir d'Alger une émission radio à grand succès intitulée « A voz da liberdade » (la voix de la liberté), écoutée clandestinement au Portugal et dans ses ex-colonies. Une émission qui avait fait prendre une nouvelle conscience politique à de nombreux jeunes Portugais assoiffés de liberté et de démocratie. Beaucoup d'entre eux ont déserté le front de la guerre coloniale du régime de Salazar ou refusaient de s'y rendre. Cette guerre-là n'était pas la leur. Certains milieux diplomatiques contactés par El Watan parlent de l'intervention de Mario Soares comme ministre des Affaires étrangères du « nouveau Portugal » lors de la 29e assemblée générale des Nations unies, présidée par le jeune ministre des Affaires étrangères de l'Algérie, Abdelaziz Bouteflika, qui avait décidé d'expulser de l'hémicycle la délégation représentant le régime de l'apartheid et d'accueillir Yasser Arafat, alors qu'il était considéré comme le « Ben Laden du moment ». Quelques années plus tard, l'apartheid fut aboli et Nelson Mandela est élu Président de l'Afrique du Sud. Le défunt Président de l'OLP a été reçu avec les honneurs dus à un chef d'Etat par Bill Clinton à la Maison-Blanche en compagnie du défunt Premier ministre israélien Yitzhak Rabin. Les mêmes sources ajoutent le rôle qu'avait joué Brahim Brahimi, alors ambassadeur de l'Algérie en Angleterre, dans les négociations du processus de décolonisation entre le Portugal et l'Angola. Les amateurs du sport aussi s'y mettent et se rappellent encore de l'impérissable souvenir d'une belle soirée de football, un certain mai 1987, durant laquelle, d'« une talonnade venue d'ailleurs », Rabah Madjer (FC Porto) donna sa première coupe d'Europe des clubs champions au Portugal démocratique. Les moments les plus forts en symbolique du séjour du Président Bouteflika sont sans doute la cérémonie de décoration de l'ordre du mérite qu'il va discerner aux ex-présidents Portugais : Mario Soares, Ramalho Eanes et à titre posthume à Humberto Delgado et Texeira Gomes, ainsi que son discours devant les députés lusitains. Il interviendra dans un statut qui dépasse celui d'un chef d'Etat, mais comme président du 19e sommet de la Ligue des Etats arabes. Le discours traitera sans doute des questions bilatérales et serait élargi sur la même ligne que celui qu'il avait prononcé à l'Unesco à Paris sur le dialogue des religions et des civilisations, un débat suggéré par le Premier ministre espagnol, José Luis Zapatero.Depuis son élection à la présidence de la République, M. Bouteflika ne cesse de déployer des efforts pour replacer l'Algérie dans le concert des nations et la sortir définitivement de l'isolement international qui la frappe depuis les années 1990. Mais pour les acteurs les plus influents sur la scène politique internationale, qui ont les yeux rivés sur le parcours démocratique algérien, les efforts du Président, qu'ils créditent d'a priori positifs, attendent de lui des décisions politiques nationales. Ils souhaitent de rapides et profondes réformes de l'Etat dans sa nature, son rôle et son fonctionnement.