La salle Ibn Khaldoun à Alger a accueilli mercredi dernier la compagnie Argentina de musique et de danse, d'Annibal Pannunzio et Magui Danni. Buenos Aires tango, titre dépouillé du spectacle, a été un exposé didactique de la vie du tango depuis sa naissance dans les faubourgs de Buenos Aires et Montevideo, jusqu'à la superbe de sa réputation dans les salons huppés d'Europe. Quatre tableaux chorégraphiques, quatre couples de danseurs sous les airs du bandonéon, dérivé d'accordéon, instrument attitré du genre, ont ponctué cette progression entre la chronologique et les espaces franchis par cette danse qui a connu les affres d'un exil et d'un retour illégitime. Les danses de ce spectacle tirent leur essence dans un va-et-vient incessant, des combats où les corps se frôlent pour mieux se contourner. De l'humour, des airs de coq et, bien sûr, de la sensualité en cours sous les tropiques d'une ville antique d'Amérique du Sud. Fondée en 1536 par Pedro de Mendoza sur la rive ouest du Rio de la Plata, Buenos Aires devient la capitale du tango. Au départ, cette danse était interdite et se jouait dans les maisons closes des quartiers populaires. Annibal Pannunzio, chorégraphe fondateur de la compagnie Argentina en 1976, a choisi de faire jouer les danseurs sur la gamme des lupanars et des bistros perdus dans les boyaux marginaux de Buenos Aires au début du siècle, là où il est né. C'était dans Arabal, première partie du spectacle. Dans Ciudad (la ville), c'est dans un Buenos Aires contemporain où la marginalité traverse le quai d'une voie ferrée où fuit la pluie urbaine d'un orage d'été. Astor Piazzola, surnommé El Rengo (le boîteux), compositeur révolutionnaire et maudit du tango, accompagne cette deuxième partie. Dans Patio Gaucho, les pas des danseurs plantent le terroir et soulèvent la poussière avec les gauchos, ces gardiens de bétail transformant leur outil de travail, des cordes lestées de boules destinées à entraver la course des bestiaux, en instruments rythmiques. En El 40 (dans les 1940), fraction ultime de ce spectacle, replace la danse dans les salons de la haute société, du temps où après avoir passé son baptême européen, le tango devient toléré en famille. Tango de formes et de bonnes manières, il se joue des reflets de lumière. En tenue de soirée, élégance sensuelle en noir et rouge léchant les corps des femmes, en gilet de campagnards soûls de travail et de fête, ou dans les habits d'antisociaux sentant la luxure à plein nez, le tango jubile depuis la réminescence d'une atmosphère glauque et malsaine, baignée dans la fumée de tabac. Exposé précautionneux et factice d'une danse qui tire son esthétique d'une obscénité originelle, tel a été Buenos Aires tango, le spectacle présenté mercredi dernier par l'Etablissement Arts et Culture d'Alger.