Le fameux quartier d'Essayeda, situé dans la partie haute de la vieille ville, formé d'un lot de maisons construites sur les deux côtés de la rue Abdellah Bey est un lieu qui agonise. Après plusieurs années de négligence, la dégradation du site ayant atteint des degrés alarmants lui a fait perdre le peu de valeur qui lui restait. Le quartier qui véhicule quotidiennement des foules de citoyens est un passage obligé pour ceux qui désirent rejoindre la rue Mellah Slimane (ex-Perrégaux), considérée comme l'artère aorte de Souika, à partir de la rue Larbi Ben M'hidi. Connu pour ses trois sabbat, ses foundouks, la mosquée Essayeda Hafsa qui lui a donné son illustre nom, ainsi que celle de Sidi Moghrof située un peu plus bas, le quartier a été envahi depuis quelques années par une horde de commerçants qui ont fini par dénaturer ses particularités architecturales. Le progrès que rien ne semble arrêter a porté un sérieux coup aux foundouks, transformés en centres commerciaux alors qu'ils grouillaient de petits artisans. Les petites boutiques ont changé irréversiblement de décor. Désormais, il n'y aura plus de place pour les gens de métier, car la loi du commerce à la chinoise est la plus forte. Même les vendeurs des livres installés dans les petites ruelles et qui faisaient autrefois la joie des bouquinistes n'attirent plus grand monde. Les gens qui ne lisent plus préfèrent plutôt faire leurs emplettes dans les vidéothèques qui poussent comme des champignons. On en dira autant sur les pizzerias qui trouvent un terrain fertile pour pulluler et se développer en McDonald populaires qui changent de menu au gré des humeurs gastronomiques des Constantinois balançant facilement au fil des saisons. Certains ont poussé même l'audace plus loin en choisissant de coller leurs étals à l'entrée de la mosquée de Sidi Moghrof. Par ailleurs, l'avènement de la technologie du numérique a énormément bouleversé le mode de vie d'une bonne partie des occupants des locaux commerciaux. On ne s'étonne plus de voir des artisans, des coiffeurs, des boulangers et des épiciers se transformer, en un laps de temps et au gré d'un recyclage peaufiné, par des séances de bricolage, en réparateurs de démodulateurs et autres curiosités électroniques. Certains n'hésiteront pas à dépenser san3s compter pour l'achat des équipements et à s'investir, par la force des choses, dans un créneau très lucratif. Les rares commerçants qui ne semblent pas tentés par ces chants de sirènes se comptent sur les doigts d'une seule main. En sus de l'unique coiffeur et du boulanger qui continuent d'exercer comme au bon vieux temps, les derniers charbonniers de la ville, toujours fidèles à leur tradition, méritent bien la palme de la bravoure. La seule fontaine rappelant encore une période révolue continue de servir malgré son âge, à chaque fois que l'ADE pense libérer l'eau dans la conduite. Cependant, les infiltrations des eaux qui échappent à tout contrôle, en raison de la vétusté des canalisations, ont eu finalement raison du pavé ancestral. Des déformations trop apparentes pour passer inaperçues ont même gagné les maisons avoisinantes. L'exemple de Dar Bendali connue aussi par Dar Lemzabi est le plus marquant. Les fissures béantes et les murs inclinés renseignent sur un danger d'effondrement imminent. En guise de réparation, on se contente de placer un drôle de madrier entre deux murs. Histoire de retarder quelque peu l'inclinaison d'un mur qui tend à coller aux bâtisses d'en-face. Ces dernières qui ne sont plus mal loties abritent toujours des citoyens dans des conditions indescriptibles. Adeptes de la fuite en avant, les autorités de la ville, en panne d'idées, se sont confinées dans des opérations de destruction massive et systématique pour venir à bout d'un patrimoine historique alors que la réhabilitation de ce bâti séculaire a été toujours possible. La volonté et la bonne foi n'y sont plus. Pour les habitants du quartier Essayeda, le présent n'augure plus un avenir rassurant. On compte encore les jours dans l'attente d'une évacuation qui tarde à venir.