Claude Pierre s'est éteint dans la nuit du vendredi à samedi dans son sommeil, sans souffrance. A l'âge de 68 ans, il a tiré sa révérence, dans la paix, sans gêner personne, à l'image de sa personnalité, généreuse et toujours optimiste quelles que soient les circonstances. Claude Pierre, qui était professeur d'histoire et président de l'Association des Français de l'étranger, avait en effet l'Algérie dans la peau, dont il connaissait les moindres recoins. Il connaissait toutes les villes et tous les villages de ce pays, du Nord au Sud et de l'Est à l'Ouest. Il disait toujours que l'Algérie était superbe, qu'Alger était unique, que ce pays avait toutes les potentialités d'être une grande nation. Mais ce qui fait la différence avec d'autres, c'est que Claude Pierre aimait profondément les gens de ce pays, il aimait le peuple algérien, il aimait les Algériens et les Algériennes. Il connaissait beaucoup de monde, des personnalités de la vie politique, du monde culturel, ainsi que des petites gens. Claude Pierre est né le 23 février 1937 à Argenteuil dans les Yvelines, après de brillantes études à Anthony, à Paris où il a milité pour l'indépendance de l'Algérie, il était logique pour lui de venir en Algérie dès l'été 1962 pour aider la nouvelle République qui manquait sérieusement d'enseignants. En sa qualité de professeur d'histoire- géographie, il était plein de rêves et d'espoir pour cette nouvelle Algérie. Ainsi, il a formé des générations et des générations d'Algériens, de Bab El Oued, de La Casbah, de Saint-Eugène, de la place du 1er Mai, du Centre-Ville... Son premier poste a été le lycée Okba, et ce n'est pas un hasard s'il y a fait pratiquement toute sa carrière d'enseignant, d'accompagnateur, de conseiller pédagogique, en devenant au fil des années l'ami de ses anciens élèves, dont je fais partie. Il a toujours gardé le contact avec tout le monde, car il avait un sens fort du relationnel, il suivait le cheminement de tous ses anciens élèves. Il me disait, il y a quelque temps, que dans son appartement parisien, il avait gardé les notes de tous les élèves à qui il a enseigné depuis 1962 ! Excellent professeur d'histoire, il avait le sens de la formule et il enseignait à ses élèves l'acquisition d'un esprit critique, savoir analyser les événements et savoir lire l'histoire par documents comparatifs. Ses cours étaient toujours agrémentés par « la petite histoire », « pour la petite histoire » comme il disait. Il a beaucoup aidé les uns et les autres sur tous les plans, et j'ai souvenir d'un de nos anciens camarades de classe qui habitait La Casbah et qu'il avait pris en charge, l'envoyant à Paris pour être soigné d'un cancer qui malheureusement lui a été fatal. Plus tard, il a pris des responsabilités à l'ambassade de France à Alger en devenant le président de l'Association des Français de l'étranger. A ce niveau, il a beaucoup aidé les anciens pieds-noirs qui n'ont jamais voulu quitter l'Algérie, malgré les menaces des intégristes. Et il avait de belles histoires à raconter sur la solidarité des Algériens envers ces personnes âgées, leurs voisins « pieds-noirs ». Dans ces quartiers populaires, les Algériens les protégeaient en leur faisant leurs courses tous les jours par exemple. Durant cette période difficile, il a été souvent invité au journal de 20 h de France 2 et sur d'autres chaînes pour parler de l'Algérie. Son ton était toujours mesuré et on sentait qu'il avait mal pour l'Algérie. Pour Claude Pierre, l'Algérien représente la générosité, l'hospitalité, le sens de la communication et le sens du pardon, et pour tout cela, il était un défenseur pour la démocratie en Algérie. Il parlait toujours de cette relation particulière de l'Algérie et de la France républicaine qu'il soutenait de toutes ses forces, justement parce que le maillage humain est si important entre les deux pays. Durant la décennie noire qu'a traversée notre pays, il revenait constamment à Alger, dans son appartement algérois des Tagarins. Protégé par ses voisins, il n'avait pas peur, sauf une fois, m'avait-il dit, suite à un coup de fil menaçant en pleine nuit. Son amour pour l'Algérie a été si fort et si sincère qu'il a adopté un Algérien, Djamel son fils. C'est Djamel qui m'a annoncé le décès de son père, un sanglot dans la gorge, samedi matin. Claude a tenu à se rendre à Alger la semaine dernière, il savait que ce voyage allait être le dernier. Il y a revu ses amis et anciens collègues, comme Zohra B. qui était professeur d'allemand au lycée Okba. En route vers l'aéroport Houari Boumediène, le dimanche 12 juin, il a tenu à faire un détour par Bab El Oued, il a tenu à se rendre au lycée Okba, presque comme un dernier pèlerinage... Claude Pierre était en train d'écrire un livre sur l'Algérie quand la maladie l'a emporté.